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23 sept. 2018

Le cauchemar du luthier sensible aux ondes

Le cauchemar du luthier sensible aux ondes ©
par Céline Lo Ricco Châtelain, Le Quotidien Jurassien, 13 septembre 2018

© Cet article est diffusé avec l’autorisation des Editions D+P SA, société éditrice du Quotidien Jurassien

Photo en page 1 du Quotidien Jurassien
Souffrant régulièrement de violents maux de tête et de troubles du sommeil, le luthier neuvevillois Pierre Louis a dû se résoudre à quitter sa maison et son atelier surplombant les vignes et le lac de Bienne.

S’étant découvert une hypersensibilité aux ondes, il a trouvé refuge dans une propriété située dans une combe et protégée de l’effet direct des rayons par un rocher, à deux pas du château de La Neuveville.

Auparavant très engagé dans la vie sociale de sa région, il limite aujourd’hui au maximum ses sorties et se retrouve bien malgré lui en marge de la société.

Témoignage.

Un chemin caillouteux qui s’enfonce dans la forêt. Quelques minutes de marche et voici qu’apparaît, nichée dans un creux et entourée d’une abondante végétation, une large bâtisse. Sur la droite, un chemin mène à une petite maison que surplombe un charmant pavillon. À plusieurs endroits, des affiches demandant aux visiteurs de couper le wifi de leur téléphone portable sont placardées.

Sur la table de jardin, un petit appareil blanc est posé devant Pierre Louis. Cette boîte qui n’a l’air de rien est pourtant lourde de sens pour le luthier. Capable de mesurer l’intensité des champs électromagnétiques, elle est devenue une alliée précieuse au quotidien. Un témoin, aussi, du bouleversement de la vie du Neuvevillois.

«Tout a commencé il y a une année. Cela faisait trois mois que j’avais mal à la tête jour et nuit, alors que c’était quelque chose qui ne m’arrivait que très rarement par le passé, raconte-t-il. J’avais aussi des insomnies. Je suis allé voir des médecins. On m’a fait des examens, mais on ne m’a rien trouvé.»

Un jour, alors qu’il se balade en forêt, il se rend compte qu’il se sent bien à certains endroits, alors qu’à d’autres, son mal de tête refait surface. «J’avais mon téléphone portable en main et j’ai constaté que ces variations d’état étaient liées à la présence ou non de réseau», narre-t-il.

Au fil des semaines, et alors que l’une de ses clientes lui raconte souffrir des mêmes symptômes, Pierre Louis commence à se douter que les champs électromagnétiques pourraient être à l’origine de ses problèmes. «Dans ma cave, j’étais bien. Dès que je revenais à l’étage, c’était la catastrophe. Je ne pouvais plus bosser dans mon atelier.»

Normes respectées

Le luthier fait alors venir un spécialiste pour voir dans quelle mesure sa maison est exposée aux rayonnements non ionisants. Verdict: les valeurs mesurées sont parfaitement conformes aux normes. Au bord de l’épuisement, Pierre Louis se résout donc à quitter sa maison pour s’installer avec son épouse dans la propriété de ses parents, où il aménage également son atelier.

Située dans un creux, derrière un gros rocher qui empêche tout rayonnement direct, cette dernière fait office de véritable refuge pour le luthier qui en est désormais persuadé: il souffre d’électrohypersensibilité. «Depuis que je vis ici, je peux à nouveau dormir et les maux de tête ont disparu. J’ai retrouvé toute mon énergie», assure-t-il.

Reste que son quotidien a fondamentalement changé. «J’évite au maximum de partir d’ici. Je viens de m’équiper d’un voile en fils d’argent pour protéger ma tête quand je dois descendre au village. Car si je reste plus de deux heures dans un endroit fortement exposé, il me faut deux jours pour m’en remettre.»

Un véritable handicap

De fait, sa vie sociale s’est réduite comme peau de chagrin. «Je suis président de l’Ensemble instrumental de La Neuveville et du club de voile, deux activités que je ne peux plus exercer», soupire-t-il. Quant à ses amis, ils se montrent compréhensifs. «Mais dans la mesure du possible, ce sont plutôt eux qui viennent chez moi.» Et ceci n’est que la pointe de l’iceberg. «Aller dans un restaurant ou au cinéma, partir en vacances à l’hôtel... c’est devenu impossible. Sans compter qu’en tant que luthier, je ne peux plus me montrer autant qu’avant dans les concerts. Mon chiffre d’affaires va sans doute s’en ressentir.»

Vivre comme avant 

Le luthier se dit conscient que dans son malheur, il reste privilégié par rapport à d’autres. «L’électrosensibilité n’est pas reconnue sur le plan médical. La seule façon d’avoir un certificat médical, c’est de consulter un psychiatre. Certains ont perdu leur travail, ont dû partir. Moi j’ai la chance d’être à mon compte, de pouvoir travailler chez moi et d’avoir pu m’installer pas trop loin.»

Aujourd’hui, Pierre Louis ne sait pas de quoi son avenir sera fait. «J’espère que mon corps pourra récupérer et que je pourrai à nouveau vivre comme avant. J’avais déjà entendu parler de l’électrosensibilité mais je me disais que ces gens qui se réfugiaient dans leurs caves ou sortaient avec des habits en fils d’argent étaient des originaux. Si j’avais su ce qui m’attendait... Je ne souhaite à personne de vivre ça.»

Le luthier neuvevillois espère que les autorités prendront davantage au sérieux ce problème à l’avenir. «Mais ce n’est pas demain la veille. Il y a trop d’argent en jeu», constate-t-il.


Questions à 
Peter Kälin,  Président de l’association des médecins pour l’environnement

Que sait-on actuellement des effets de l’électrosmog sur la santé?

On sait aujourd’hui que le rayonnement du téléphone mobile, par exemple, provoque des fluctuations de l’activité électrique du cerveau et a des effets sur la circulation sanguine cérébrale ou encore sur les spermatozoïdes. L’Agence internationale de recherche de cancer a par ailleurs catégorisé en 2011 ce rayonnement comme possiblement cancérogène.

Les autorités politiques prêtent-elles suffisamment d’attention à ce problème selon vous?

Notre association estime que la connaissance actuelle est très préoccupante et demande des mesures de précaution. Il faut mener davantage de recherches, informer la population sur les moyens permettant de diminuer l’exposition. Peut-être aussi baisser les valeurs limites...

Certains contestent le lien entre ondes magnétiques et les symptômes dont souffrent les personnes dites électrosensibles. Qu’en est-il? L’électrosensibilité existe-t-elle vraiment?

Lors d’études en laboratoire, il est apparu que des personnes analysées ne pouvaient pas distinguer si elles étaient exposées réellement ou fictivement à un champ magnétique. Sur cette base, l’Organisation mondiale de la santé et l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) n’ont donc pas reconnu de lien entre l’exposition aux ondes et les maux dont souffrent ces personnes. Toutefois, selon le rapport de l’OFEV, des sensibilités individuelles ne peuvent pas être totalement exclues. Selon notre expérience, le groupe de personnes se disant électrosensibles est très hétérogène – que ce soit en matière d’apparition des symptômes, ou encore de la possibilité de s’en débarrasser ou non. Mais chez quelques-unes d’entre elles, un lien entre des symptômes (troubles du sommeil, maux de tête, troubles de la concentration) et un rayonnement est tout à fait plausible. Il faut toutefois différencier les effets nocifs prouvés cités plus haut et l’électrosensibilité, qui est un phénomène subjectif.

Peut-on évaluer le pourcentage de la population souffrant d’électrosensibilité?

Dans une enquête réalisée en Suisse il y a 12 ans, 5% des personnes interrogées disaient être électrosensibles. Des études internationales plus actuelles montrent des résultats comparables.

Avec l’arrivée annoncée de la 5G pour la téléphonie mobile, le phénomène risque-t-il de s’amplifier?

Je n’ai pas de boule de cristal pour prédire l’avenir. Mais il me paraîtrait important de refaire une enquête sur le phénomène (puisque la première date d’il y a 12 ans, alors que le boom des smartphones et du wifi n’avait pas encore eu lieu) avant d’introduire la 5G. Nous sommes heureux que le Parlement fédéral ait refusé par deux fois une augmentation des valeurs limites pour les antennes-relais, même si le débat n’est malheureusement pas encore clos. L’introduction de la 5G nous préoccupe car cette technologie nécessite des fréquences plus hautes susceptibles d’être absorbées par la peau, un tissu très sensible.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui pensent souffrir d’hypersensibilité aux ondes?

Nous leur recommandons tout d’abord de consulter leur médecin de famille, pour pouvoir vérifier qu’il n’y a pas d’autre cause à leurs maux. Malheureusement, il n’existe pas encore d’institution qui propose des tests. Il n’existe pas non plus de directives validées médicalement pour la clarification, le diagnostic et le traitement de la sensibilité électromagnétique, même si l’on s’efforce, au niveau international, d’élaborer des lignes directrices pour le diagnostic et le traitement. En tous les cas, si un lien entre les nuisances environnementales et les maux semble plausible, nous mettons volontiers notre savoir technique dans ce domaine à la disposition du médecin de famille concerné. CLR


DU CÔTÉ DE L’OFFICE FÉDÉRAL DE L’ENVIRONNEMENT

«Avec l’arrivée de la 5G, l’électrosmog va forcément augmenter»


L’intensité des champs électromagnétiques (ou électrosmog) varie selon les endroits, en fonction du nombre de sources de rayonnements (par exemple les lignes à haute tension, les lignes de contact des chemins de fer, les émetteurs de radio, de télévision et de téléphonie mobile, ou encore les nombreux appareils ménagers).

Si Pierre Louis a dénombré pas moins de neuf antennes à distance plus ou moins proches de son ancien domicile, ce ne sont toutefois pas forcément les installations les plus imposantes qui posent le plus problème, relève Jürg Baumann, chef de la section Rayonnement non ionisant à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). «La source la plus importante en matière de rayonnement non ionisant reste souvent le téléphone mobile. En effet, la distance entre la source d’un rayonnement et le corps humain est déterminante. Ainsi, même si le rayonnement d’un portable n’est pas très puissant, le fait qu’on le colle à notre tête pour l’utiliser décuple la dose de rayonnement à laquelle on est soumis», explique-t-il.

Des normes contraignantes

Quant à savoir quelles sont les mesures prises par la Confédération pour protéger la population des effets nocifs des champs électromagnétiques, Jürg Baumann relève que pour ce qui concerne les effets prouvés scientifiquement, des garde-fous ont été posés. «Par exemple, on sait que le rayonnement des émetteurs peut provoquer – si on en est très proche – un échauffement des tissus dans le corps. La Suisse a dès lors émis des normes strictes à respecter (plus strictes que ses voisins d’ailleurs) pour limiter ces effets», détaille-t-il.

Principe de précaution

Jürg Baumann reconnaît qu’il n’y a pas encore assez de recul concernant les effets à long terme des nouvelles technologies. «On soupçonne par exemple qu’une utilisation importante du téléphone mobile pourrait provoquer des cancers du cerveau, mais aucune étude n’a pu le prouver de façon concluante. C’est pour cela qu’il faut appliquer le principe de précaution», avance Jürg Baumann, qui précise que la Confédération finance des projets de recherche en collaboration avec des médecins et des universités. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’avec l’arrivée annoncée de la 5G pour la téléphonie mobile, l’électrosmog va prendre de l’ampleur. «Le problème c’est que plusieurs générations de technologies évoluent en parallèle, la 2G cohabitant encore avec la 3, la 4 et bientôt la 5G. Or, chacune participe à l’alimentation de l’électrosmog. Avec la 5G, on aura forcément besoin de plus d’antennes», confirme Jürg Baumann. CLR


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