par Xavier Lambiel, letemps.ch,
3 février 2017
Les Valaisans déposent le recours de la dernière chance contre une ligne à très haute tension dans la vallée du Rhône. Malgré leur unanimité, les ténors de la politique semblent impuissants
En pleine campagne électorale, les politiciens valaisans semblent à la fois unanimes et impuissants. Pour le président de Grône, Marcel Bayard, «ce projet est irresponsable et malhonnête». A quelques kilomètres de Sion, les citoyens de trois communes militent pour l’enfouissement de la ligne à très haute tension qui doit les survoler. A Grône, un pylône surplombera même l’école. Projeté à une centaine de mètres de l’établissement, il respecte les normes légales d’exposition aux champs électromagnétiques. Marcel Bayard se fâche: «Nos enfants ne sont pas des rats de laboratoire.»
Déboutés par le Tribunal administratif fédéral en décembre dernier, une quinzaine d’opposants viennent de saisir le Tribunal fédéral. Pour l’avocat Jacques Philippoz, qui incarne ce combat depuis près de 30 ans, «c’est le recours de la dernière chance». Au nom de la santé des gens et de la qualité du paysage, il mène la vie dure aux électriciens, leur reprochant des pylônes qui entrent en conflit avec la troisième correction du Rhône ou qui sont prévus en zone de danger: «Je n’ai jamais vu un dossier aussi pourri.»
Les Valaisans déposent le recours de la dernière chance contre une ligne à très haute tension dans la vallée du Rhône. Malgré leur unanimité, les ténors de la politique semblent impuissants
En pleine campagne électorale, les politiciens valaisans semblent à la fois unanimes et impuissants. Pour le président de Grône, Marcel Bayard, «ce projet est irresponsable et malhonnête». A quelques kilomètres de Sion, les citoyens de trois communes militent pour l’enfouissement de la ligne à très haute tension qui doit les survoler. A Grône, un pylône surplombera même l’école. Projeté à une centaine de mètres de l’établissement, il respecte les normes légales d’exposition aux champs électromagnétiques. Marcel Bayard se fâche: «Nos enfants ne sont pas des rats de laboratoire.»
Déboutés par le Tribunal administratif fédéral en décembre dernier, une quinzaine d’opposants viennent de saisir le Tribunal fédéral. Pour l’avocat Jacques Philippoz, qui incarne ce combat depuis près de 30 ans, «c’est le recours de la dernière chance». Au nom de la santé des gens et de la qualité du paysage, il mène la vie dure aux électriciens, leur reprochant des pylônes qui entrent en conflit avec la troisième correction du Rhône ou qui sont prévus en zone de danger: «Je n’ai jamais vu un dossier aussi pourri.»
Unanimité politique
Comme Grône, de nombreux opposants se sont annoncés trop tardivement pour participer à la procédure judiciaire. Ils comptent sur la classe politique pour se faire entendre. Le recours de la dernière chance trouve un écho favorable dans la campagne qui fait rage pour une place au gouvernement. Dans leurs programmes respectifs, parmi d’autres, les candidats Christophe Darbellay et Oskar Freysinger s’entendent pour défendre un enfouissement. En mars dernier, le parlement valaisan a exprimé la même volonté. Il a aussi voté pour réduire les normes légales d’exposition aux champs électromagnétiques.
Au même moment, les huit élus valaisans du Conseil national signaient deux interpellations similaires. Mathias Reynard avait déjà déposé un postulat réclamant un enfouissement. Rejeté par le Conseil fédéral, il sera classé en septembre prochain si le parlement ne l’a pas traité. Pour le socialiste «les gens ne veulent pas d’une ligne aérienne et Swissgrid ne peut pas la leur imposer». Il prévient: «Les Valaisans résisteront par tous les moyens.»
Comme Grône, de nombreux opposants se sont annoncés trop tardivement pour participer à la procédure judiciaire. Ils comptent sur la classe politique pour se faire entendre. Le recours de la dernière chance trouve un écho favorable dans la campagne qui fait rage pour une place au gouvernement. Dans leurs programmes respectifs, parmi d’autres, les candidats Christophe Darbellay et Oskar Freysinger s’entendent pour défendre un enfouissement. En mars dernier, le parlement valaisan a exprimé la même volonté. Il a aussi voté pour réduire les normes légales d’exposition aux champs électromagnétiques.
Au même moment, les huit élus valaisans du Conseil national signaient deux interpellations similaires. Mathias Reynard avait déjà déposé un postulat réclamant un enfouissement. Rejeté par le Conseil fédéral, il sera classé en septembre prochain si le parlement ne l’a pas traité. Pour le socialiste «les gens ne veulent pas d’une ligne aérienne et Swissgrid ne peut pas la leur imposer». Il prévient: «Les Valaisans résisteront par tous les moyens.»
Intérêt national
Depuis 1986, les transporteurs d’électricité Alpiq puis Swissgrid entendent ériger une ligne à très haute tension sur les 30 kilomètres qui séparent Chamoson de Chippis, dans la vallée du Rhône. Après avoir longuement affronté les résistances des Valaisans, les électriciens se préparent à piquer les coteaux de 77 géants d’acier qui pourront s’élever jusqu’à 100m de haut, et soutenir 33 câbles. En contrepartie, ils s’engagent à démanteler 89 kilomètres de lignes de tension inférieure.
Porte-parole de la société, Marie-Claude Debons plaide l’urgence: «La ligne actuelle souffre de congestions récurrentes et nous ne pourrons bientôt plus transporter que les deux tiers de la production valaisanne». L’autoroute électrique doit relier les barrages du canton et la future centrale de Nant de Drance au réseau national et international par l’est: «Pour le Valais, cette ligne est indispensable et même vitale.»
Depuis 1986, les transporteurs d’électricité Alpiq puis Swissgrid entendent ériger une ligne à très haute tension sur les 30 kilomètres qui séparent Chamoson de Chippis, dans la vallée du Rhône. Après avoir longuement affronté les résistances des Valaisans, les électriciens se préparent à piquer les coteaux de 77 géants d’acier qui pourront s’élever jusqu’à 100m de haut, et soutenir 33 câbles. En contrepartie, ils s’engagent à démanteler 89 kilomètres de lignes de tension inférieure.
Porte-parole de la société, Marie-Claude Debons plaide l’urgence: «La ligne actuelle souffre de congestions récurrentes et nous ne pourrons bientôt plus transporter que les deux tiers de la production valaisanne». L’autoroute électrique doit relier les barrages du canton et la future centrale de Nant de Drance au réseau national et international par l’est: «Pour le Valais, cette ligne est indispensable et même vitale.»
L’argument de la péremption
Ces dernières années, pourtant, les Valaisans grognent de plus en plus fort à mesure que le projet se concrétise. Pour la représentante des mamans de Grône, Nadine Arlettaz, «ce combat est juste et important». Face au Tribunal fédéral pour la seconde fois, Jacques Philippoz plaide désormais la péremption du projet: «La situation a beaucoup évolué depuis les études des années 1990». Espérant toujours faire enfouir la ligne de la discorde, il insiste: «Swissgrid doit tout recommencer à zéro.»
Marie-Claude Debons martèle que le Tribunal fédéral a déjà écarté un câblage souterrain. Pour elle, «le temps n’a pas la même valeur dans un projet de cette ampleur». Chef du projet, Alexandre Rey soutient que ses plans respectent toutes les normes en vigueur et que «les documents ont été régulièrement mis à jour». Habitués aux résistances, tous deux jugent ces oppositions «normales et compréhensibles».
Ces dernières années, pourtant, les Valaisans grognent de plus en plus fort à mesure que le projet se concrétise. Pour la représentante des mamans de Grône, Nadine Arlettaz, «ce combat est juste et important». Face au Tribunal fédéral pour la seconde fois, Jacques Philippoz plaide désormais la péremption du projet: «La situation a beaucoup évolué depuis les études des années 1990». Espérant toujours faire enfouir la ligne de la discorde, il insiste: «Swissgrid doit tout recommencer à zéro.»
Marie-Claude Debons martèle que le Tribunal fédéral a déjà écarté un câblage souterrain. Pour elle, «le temps n’a pas la même valeur dans un projet de cette ampleur». Chef du projet, Alexandre Rey soutient que ses plans respectent toutes les normes en vigueur et que «les documents ont été régulièrement mis à jour». Habitués aux résistances, tous deux jugent ces oppositions «normales et compréhensibles».
Une jurisprudence favorable
Techniquement, le dernier recours des Valaisans porte sur le diamètre des câbles, agrandis pour réduire les nuisances sonores. Les opposants accusent Swissgrid d’en avoir profité pour doubler leur puissance. Si Marie-Claude Debons reconnaît que la ligne pourrait théoriquement transporter plus que 2230 ampères, elle assure que des contraintes techniques et juridiques l’interdiraient. Pour l’avocat Jacques Philippoz, qui refuse de faire confiance aux électriciens, cette modification aurait dû nécessiter une mise à l’enquête.
En contestant l'urgence de la situation, les opposants fondent leurs espoirs sur une décision récente du Tribunal fédéral. En 2011, les juges avaient ordonné à Swissgrid d’enfouir 1300 mètres de lignes similaires en Argovie. Pour la Haute Cour, les câblages souterrains sont devenus «plus performants, plus fiables et financièrement plus avantageux». Malgré tout, jamais la Suisse n’a enterré pareille infrastructure sur une distance de 30 kilomètres.
Techniquement, le dernier recours des Valaisans porte sur le diamètre des câbles, agrandis pour réduire les nuisances sonores. Les opposants accusent Swissgrid d’en avoir profité pour doubler leur puissance. Si Marie-Claude Debons reconnaît que la ligne pourrait théoriquement transporter plus que 2230 ampères, elle assure que des contraintes techniques et juridiques l’interdiraient. Pour l’avocat Jacques Philippoz, qui refuse de faire confiance aux électriciens, cette modification aurait dû nécessiter une mise à l’enquête.
En contestant l'urgence de la situation, les opposants fondent leurs espoirs sur une décision récente du Tribunal fédéral. En 2011, les juges avaient ordonné à Swissgrid d’enfouir 1300 mètres de lignes similaires en Argovie. Pour la Haute Cour, les câblages souterrains sont devenus «plus performants, plus fiables et financièrement plus avantageux». Malgré tout, jamais la Suisse n’a enterré pareille infrastructure sur une distance de 30 kilomètres.
Enterrer une ligne à très haute tension, facile?
Lorsqu’il s’agit de petits voltages, les lignes électriques enterrées sont globalement très répandues. C’est le cas des réseaux de distribution régionaux. Par contre, dans le réseau de transport à longue distance, dits de très haute tension (THT) – comme le projet de ligne en Valais, on compte en Suisse seulement 8 km de câbles souterrains pour 6’700 km d’aériens. Pourquoi cette différence?
Les lignes THT supportent une tension de 380 kV ou 220 kV – pour comparaison, le courant qui arrive dans nos habitations n’est plus que de 0.4 à 1 kV. Or le câble conducteur doit être compatible avec cette puissance. «De la longueur du tracé de la ligne électrique, la charge des lignes et la nature du sol vont déprendre le choix de la matière, du nombre et de la section des conducteurs d’électricité, explique Marie-Claude Debons, porte-parole de Swissgrid. Ces câbles souterrains à THT sont donc lourds, en raison de leur section du conducteur et de leur isolation plastique». Les câbles à petits voltages sont beaucoup plus petits que ceux qui supportent les THT et donc plus faciles à enterrer.
Lorsqu’il s’agit de petits voltages, les lignes électriques enterrées sont globalement très répandues. C’est le cas des réseaux de distribution régionaux. Par contre, dans le réseau de transport à longue distance, dits de très haute tension (THT) – comme le projet de ligne en Valais, on compte en Suisse seulement 8 km de câbles souterrains pour 6’700 km d’aériens. Pourquoi cette différence?
Les lignes THT supportent une tension de 380 kV ou 220 kV – pour comparaison, le courant qui arrive dans nos habitations n’est plus que de 0.4 à 1 kV. Or le câble conducteur doit être compatible avec cette puissance. «De la longueur du tracé de la ligne électrique, la charge des lignes et la nature du sol vont déprendre le choix de la matière, du nombre et de la section des conducteurs d’électricité, explique Marie-Claude Debons, porte-parole de Swissgrid. Ces câbles souterrains à THT sont donc lourds, en raison de leur section du conducteur et de leur isolation plastique». Les câbles à petits voltages sont beaucoup plus petits que ceux qui supportent les THT et donc plus faciles à enterrer.
Chantier de taille
Pour les lignes à 380 kV, «1 km de câbles pèse jusqu’à 60 tonnes!» Ce qui implique une logistique conséquente. Pour amener les câbles sur place pour le montage, des voies d’accès adaptées aux convois exceptionnels doivent être construites. Le chantier temporaire, le parc de machines, le matériel ainsi que l’excavation de la terre nécessitent une surface importante. «Pendant la phase de construction, la largeur du tracé s’élève à environ 25 mètres pour passer à seulement 5 mètres pendant la phase d’exploitation», indique la spécialiste.
Pour des raisons techniques et pratiques, un câble THT ne peut guère dépasser un kilomètre de long. D’un point de vue théorique, si on veut accoler deux tronçons de câbles, il faut installer un manchon de liaison, qui doit être accessible en tout temps pour d’éventuelles réparations. La construction de galeries d’accès est donc obligatoire. Dans le cas où une ligne souterraine et une ligne aérienne se rejoignent, il est également nécessaire de construire des stations de transition «de la taille d’un terrain de hockey sur glace».
Pour les lignes à 380 kV, «1 km de câbles pèse jusqu’à 60 tonnes!» Ce qui implique une logistique conséquente. Pour amener les câbles sur place pour le montage, des voies d’accès adaptées aux convois exceptionnels doivent être construites. Le chantier temporaire, le parc de machines, le matériel ainsi que l’excavation de la terre nécessitent une surface importante. «Pendant la phase de construction, la largeur du tracé s’élève à environ 25 mètres pour passer à seulement 5 mètres pendant la phase d’exploitation», indique la spécialiste.
Pour des raisons techniques et pratiques, un câble THT ne peut guère dépasser un kilomètre de long. D’un point de vue théorique, si on veut accoler deux tronçons de câbles, il faut installer un manchon de liaison, qui doit être accessible en tout temps pour d’éventuelles réparations. La construction de galeries d’accès est donc obligatoire. Dans le cas où une ligne souterraine et une ligne aérienne se rejoignent, il est également nécessaire de construire des stations de transition «de la taille d’un terrain de hockey sur glace».
Coûts élevés
Des travaux qui, mis bout à bout, coûtent très cher. Une étude mandatée par l’État du Valais annonçait en novembre dernier que l’enfouissement est techniquement possible sur le projet de ligne valaisanne mais qu’il coûte 10 fois plus cher. Les opposants contestent ces calculs qui ne tiennent pas compte des pertes d’énergie d’une ligne aérienne.
Lire aussi: Pour l’Etat, la ligne aérienne contestée pourrait être enterrée
Selon Massimiliano Capezzali, du centre de l’énergie de l’EPFL, l’enfouissement de lignes comparables (courant alternatif, THT) est une pratique peu courante quel que soit le pays. La plupart des exemples concernent de très courtes distances. Avec quelques réserves propres aux particularités de chaque projet, le professeur Heinrich Brakelmann, de l’université de Duisbourg, énumère des lignes similaires enterrées sur des distances variant entre 12 et 39 kilomètres à Tokyo, Madrid, Londres et Copenhague.
(Nathalie Jollien)
Des travaux qui, mis bout à bout, coûtent très cher. Une étude mandatée par l’État du Valais annonçait en novembre dernier que l’enfouissement est techniquement possible sur le projet de ligne valaisanne mais qu’il coûte 10 fois plus cher. Les opposants contestent ces calculs qui ne tiennent pas compte des pertes d’énergie d’une ligne aérienne.
Lire aussi: Pour l’Etat, la ligne aérienne contestée pourrait être enterrée
Selon Massimiliano Capezzali, du centre de l’énergie de l’EPFL, l’enfouissement de lignes comparables (courant alternatif, THT) est une pratique peu courante quel que soit le pays. La plupart des exemples concernent de très courtes distances. Avec quelques réserves propres aux particularités de chaque projet, le professeur Heinrich Brakelmann, de l’université de Duisbourg, énumère des lignes similaires enterrées sur des distances variant entre 12 et 39 kilomètres à Tokyo, Madrid, Londres et Copenhague.
(Nathalie Jollien)
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