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31 août 2017
Quand les écrans abîment nos enfants
Voir le document du juillet 2017 :
"Usages du numérique : risques pour la santé"
Quand les écrans abîment nos enfants
par Sophie Davaris ABO+, Tribune de Genève, 26 août 2017
Santé: L’exposition aux tablettes, télévisions et smartphones altère le développement des bambins. A Genève, médecins et enseignants tirent la sonnette d’alarme.
A l’âge de sept ans, un enfant aura passé une année entière de sa vie devant un écran. A 18 ans, trois années pleines. Le constat du British Medical Journal de 2012 a de quoi faire froid dans le dos aujourd’hui. Depuis ce printemps, des voix s’élèvent pour dénoncer les dangers de la télévision, des smartphones, tablettes et autres consoles pour les bébés et les petits enfants. Eblouis par ces outils, dont nous sommes parfois captifs nous-mêmes, nous aurions sous-estimé leurs effets négatifs sur notre progéniture.
Fin mai, Le Monde publiait une mise en garde de douze professionnels. Médecins pédiatres et pédopsychiatres, psychologues, orthophonistes évoquaient un «enjeu majeur de santé publique». La surexposition numérique engendre une kyrielle de maux. Quel que soit le milieu social, ces spécialistes décrivent des enfants qui ne se développent pas normalement: ils ne parlent pas, ne communiquent pas, se montrent très agités ou à l’inverse passifs. Des troubles proches, selon les auteurs, des symptômes de l’autisme – à la différence majeure qu’ils disparaissent en supprimant les écrans.
Médecins genevois inquiets
Qu’en est-il à Genève? «Nous constatons exactement la même chose et en sommes très alarmés», s’inquiète Nathalie Nanzer, médecin adjoint responsable de l’Unité de guidance infantile des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La pédopsychiatre pointe le danger des écrans pour les petits de moins de 2 ou 3 ans; au-delà, c’est moins grave, selon elle. «Confrontés aux écrans avant l’âge d’un an, les enfants accusent de grands retards de développement. Vers 2-3 ans, hyperactifs et désorganisés, ils ne peuvent pas se concentrer. A 3 ou 4 ans, certains sont sans langage, sans interaction. Ils ne vous regardent pas, ne savent pas dire bonjour ni demander un objet à leur mère.» Des bambins malhabiles, dans la marche comme dans leurs gestes. «Certains n’ont jamais tenu un crayon! Ils ne savent pas jouer aux Lego, s’énervent, envoient tout valser.»
A ses côtés, la psychologue Anne Spira regrette le recours à l’«écran-nounou». Elle rappelle combien un bébé a besoin d’une personne qui s’adapte à lui, avec finesse. «L’adulte aide à traduire et à contenir les émotions du jeune enfant. Il les décode, les reformule, y ajoute une nuance. L’écran, lui, ne s’adapte pas. Il limite les expériences et bloque l’imaginaire. Alors qu’un enfant doit pouvoir développer ses cinq sens, jouer avec des objets qui ont un poids, une texture, une odeur, inventer des histoires à partir de rien…»
Conscient du problème, le Service de santé de l’enfance et de la jeunesse (SSEJ) a produit une note en juillet sur les risques du numérique pour la santé, qui doit être transmise aux enseignants à la rentrée. Outre les troubles déjà décrits, le SSEJ rappelle que les écrans affectent le sommeil et la vision; ils favoriseraient le développement de maladies comme le diabète de type 2, les affections cardio-vasculaires et l’obésité.
Les écrans même au parc
Ce n’est pas tout: l’exposition précoce aux écrans perturbe le bien-être psychique et le développement socioaffectif et favorise le déficit d’attention, insiste encore le SSEJ. Captés par la télé ou un jeu vidéo, certains rechignent à l’effort et ne supportent plus la frustration. «Un prof paraît bien fade à côté d’un écran où défilent des images rapides et colorées», résument Nathalie Nanzer et Anne Spira.
Mais ce débat est-il nouveau? La télévision fut déjà accusée de tous les maux dans les années 70. «Il y a une différence: désormais les écrans, mobiles, multiples, nous suivent partout», remarque Nathalie Nanzer. Quel parent, en effet, n’a jamais emporté une tablette ou un lecteur de DVD en voyage? Certaines familles gardent l’écran allumé lors du repas, d’autres l’emportent au parc.
Des règles claires
Alors faut-il jeter tous les écrans? Anne Spira préconise un contrôle strict chez les petits: pas plus de trente minutes par jour. «Quelle que soit la règle, elle doit être claire. On ne doit pas négocier sans cesse, ajoute la Dre Nanzer. Au début, l’enfant fera d’énormes crises, comme une personne en manque de son toxique.» Mais en peu de temps, les enfants se calment et trouvent d’autres centres d’intérêt, assure la médecin. «On pense qu’ils vont souffrir, mais non! Spontanément, ils ont envie de découvrir le monde. Un enfant a besoin de jouer, de lire, de parler, et même de s’ennuyer!»
Reste à convaincre les adultes. Beaucoup ont trouvé dans les écrans un moyen pratique d’occuper l’enfant, en dégageant du temps pour eux. D’aucuns en sont dépendants. «Il existe des foyers où la télé est allumée en permanence», note Nathalie Nanzer. D’autres croient aux vertus de la technologie. «Ils offrent une tablette à leur enfant en pensant bien faire. Ils tombent des nues quand on les rend attentifs aux risques.»
Si les écrans sont si nocifs, comment expliquer la timidité des mises en garde jusqu’ici? «Il y a eu un temps de latence. On commence seulement à avoir du recul», répond la Dre Martine Berger, directrice du Service de santé de l’enfance et de la jeunesse (SSEJ).
Pour le pédopsychiatre Stephan Eliez, directeur de l’Office médico-pédagogique, «il y a eu une forme d’idéalisation des écrans. La technologie étant valorisée socialement, le discours est resté ambivalent, car certains experts ont craint d’être ringardisés.»
Précisant que l’écran est devenu la première source de divertissement en Suisse dès l’âge de 9 ans et qu’en moyenne les préadolescents européens y consacrent en moyenne 35 heures par semaine, Stephan Eliez invite à distinguer la télévision des tablettes et consoles, interactives. «Ces jeux délivrent des récompenses mais sont programmés pour que le succès soit irrégulier. Cela génère de la surprise et produit une attente. Quasi dépourvus de contenu et très éloignés du monde réel, ces programmes privent le cerveau d’étapes essentielles à son développement. Alors que les dessins animés ou les films déroulent une histoire avec un contenu social, même stéréotypé.»
Sans dramatiser, Stephan Eliez juge essentiel de délivrer un message de prudence: «Les parents doivent être informés de l’appauvrissement qu’entraîne une exposition excessive aux écrans. Des méta analyses ont montré que le temps passé devant un écran est inversement corrélé à la réussite scolaire. Plus largement, l’enfant voit se restreindre sa capacité d’attention et le champ de son développement intellectuel, langagier, social.»
Or, avertit Stephan Eliez, «des compétences non acquises à un certain âge peuvent être compensées, mais pas toujours de façon complète». Quand faut-il s’inquiéter? «Si un enfant ne formule pas de phrases à deux ans et demi, cela vaut la peine de faire une évaluation.» Mais il se veut confiant: «Les parents veulent assurément le bien de leur enfant. Si on les avertit, ils vont réagir.» S.D.
Enseignant en 3e primaire (les élèves ont 6 à 7 ans) à l’école de Chateaubriand, aux Pâquis, Tamara Rios constate que «les enfants passent beaucoup de temps devant les écrans et qu’ils y sont exposés de plus en plus jeunes». L’an dernier, dans sa classe, deux élèves possédaient un téléphone, bien d’autres des tablettes. Selon elle, la «surconsommation» touche près de la moitié d’entre eux. «Chez certains, le vocabulaire reste pauvre, surtout dans les degrés supérieurs.» Comment savoir si le problème est lié aux écrans? La jeune femme a sa méthode: en début d’année, elle interroge les élèves sur leurs habitudes. «Parfois, c’est bien géré: d’abord les devoirs, ensuite une heure ou deux d’écrans. D’autres font comme ils veulent, allument la télé dès qu’ils rentrent de l’école.»
Chez ces enfants, l’enseignante observe des problèmes de comportement: «Ils s’ennuient vite, stressent à l’idée de ne rien faire et ne savent pas s’occuper librement. Ils ont quantité de jeux, de livres et d’ateliers à disposition mais restent désemparés, regrette-t-elle. Ils adoptent un langage agressif, parfois très vulgaire. Ils emploient des mots qui ne sont pas de leur âge et ont des gestes inhabituels: ils étranglent, giflent violemment.»
Luttant contre la «banalisation des écrans», Tamara Rios aborde le sujet avec les parents. «Certains sont très surpris. D’autres estiment que c’est un sujet important que je fais bien de soulever. Et il y a des parents, mal à l’aise, qui évitent la conversation.» L’enseignante conseille de fixer des règles, de surveiller les programmes vus par l’enfant et de l’accompagner sur Internet. «Il suffit d’une fois pour tomber sur une chose choquante.» Elle recommande aussi, tout simplement, de sortir, de jouer avec ses enfants. «Les laisser s’ennuyer est nécessaire. Cela déploie l’imagination.» S.D. (TDG)
Rien avant 3 ans!
La Suisse, comme la France et la Belgique, recommande de ne pas exposer les enfants aux écrans avant l’âge de 3 ans. Après, il faudrait limiter le temps d’écran à quinze minutes par jour. Le Canada préconise d’éviter tout écran avant 2 ans, puis de ne pas dépasser 1 h par jour entre 2 et 4 ans. L’adulte devrait choisir des émissions adaptées et si possible les regarder avec l’enfant. Enfin, il est déconseillé de placer un écran dans la chambre des enfants. S.D.
https://www.tdg.ch/savoirs/sante/ecrans-abiment-enfants/story/10899157
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