Une opération de désamiantage dans une propriètè privée. Ce produit pourra à nouveau être utilisé en Suisse dès le 1er juin. Image: Keystone |
par Julien Wicky, ABO, tdg.ch, 30 mai 2019
Construction : Un changement de loi permettra, sous condition, de réutiliser le matériau toxique en Suisse dès le 1er juin. Vives réactions.
Ariane Vallotton est choquée. «J’ai déjà vu trop de gens mourir à cause de l’amiante. Il y a d’autres choses à faire que de la réintroduire sur le territoire suisse. C’est scandaleux.» La Lausannoise est présidente du Comité d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante et elle n’en revient pas. En cause, une modification de l’ordonnance sur la réduction des risques liés aux produits chimiques (ORRChim) qui entrera en vigueur ce samedi 1er juin.
Elle permettra d’utiliser de l’amiante ou des matériaux en contenant pour des travaux de réparation ou de restauration sur des ouvrages existants si, pour des raisons d’ordre visuel, il n’est pas envisageable d’employer du matériel de substitution sans amiante. En clair, on l’autorise pour des questions esthétiques.
Un pas en arrière
L’utilisation de l’amiante est interdite en Suisse depuis 1990. Jusqu’ici, de très rares exceptions étaient accordées – uniquement lorsque l’utilisation de l’amiante constituait un impératif technique. En parallèle, on ne compte plus les combats pour indemniser les victimes de cancers provoqués par l’exposition à la poussière d’amiante.
Pas plus tard que la semaine dernière, l’entrepreneur suisse Stephan Schmidheiny, ancien CEO d’Eternit, était condamné en Italie à 4 ans de prison pour homicide involontaire. L’affaire portant sur le décès de deux employés de l’entreprise. Il a fait appel. En Suisse, 2173 décès sont directement causés par des cancers aux poumons liés à l’amiante. Et de nouveaux cas de maladie sont déclarés chaque année, 357 pour la seule année 2016. Dans ce contexte, la décision passe très mal.
La Ligue suisse contre le cancer s’y était d’ailleurs fermement opposée lors de la consultation, tout comme l’Institut suisse de santé au travail qui évoque «un pas en arrière», ce d’autant que la notion d’esthétique est un critère subjectif. Treize cantons se sont déclarés favorables. En Suisse romande, seuls Vaud et Genève ont émis de sérieuses réserves.
D’où vient cette idée? C’est à l’initiative de l’Association suisse de la pierre naturelle que l’Office fédéral de l’environnement, conjointement avec celui de la santé publique, ont accepté d’autoriser cette modification. Elle sera soumise à de strictes dérogations et ne devrait pas concerner plus d’une dizaine de cas par an.
Chef de la commission technique de cette association, le géologue Philippe Rück nous explique qu’il ne s’agit pas de réintroduire l’amiante, mais d’utiliser exceptionnellement une pierre qui en contient: la serpentinite. Cette pierre, aux reflets verts, «est fréquemment utilisée dans les décorations, monuments et œuvres d’art et est unique du point de vue de sa structure et de sa couleur. Son remplacement par une autre pierre n’est donc pas satisfaisant», ajoute le géologue. Son exemple le plus célèbre est celui de la Tribune de l’ONU à New York, devant laquelle défilent les chefs d’État.
Son utilisation ne présente pas de danger en cas d’utilisation normale, mais uniquement si elle est percée, poncée ou sciée. En cas d’autorisation, les prescriptions de la Suva s’appliquent. Le principal assureur accident du pays sera d’ailleurs contacté à chaque dérogation délivrée.
Alors que la Suva a reconnu plus de 4800 cas de pathologies liées à l’amiante depuis 1939 et versé plus de 1,1 milliard de prestations, elle a soutenu la modification de l’ordonnance. Son porte-parole, Jean-Luc Alt, évoque «une approche pragmatique, contrôlée et strictement réglementée qui permet d’éviter de remplacer toute une structure si seule une pièce est abîmée». Et de rappeler que des travaux de désamiantage sont encore fréquents et strictement réglementés. Il ne remet pas en cause l’interdiction globale de l’amiante.
«La boîte de Pandore»
L’explication promet pourtant d’avoir du mal à convaincre. D’abord, l’ordonnance ne précise pas que cela se limiterait à la serpentinite. Entrepreneur établi à Onnens, Jorgen Hempel a longtemps travaillé avec l’amiante et a dirigé une importante entreprise de déflocage en Italie. Il s’insurge: «On peut tout à fait utiliser d’autres moyens en mêlant du sable, de la chaux et des minéraux. Rien ne justifie cela.»
Pour des motifs esthétiques, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Ariane Vallotton est convaincue que non. «Je ne comprends même pas comment on puisse l’imaginer. C’est exclu.» Le texte va pourtant bel et bien entrer en vigueur. Jorgen Hempel acquiesce et se montre inquiet: «On ouvre la boîte de Pandore.» (TDG)
https://www.tdg.ch/suisse/retour-catimini-amiante-choque/story/14841750
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