Mieux Prévenir
Comprendre le rapport entre la santé et l'environnement pour mieux protéger nos enfants et les générations futures.
23 mai 2013
Stockage des déchets radioactifs : c'est quoi mille siècles ?
par Corinne Lepage, Présidente de Cap21,
Rue 89, 21 mai 2013
Arte diffuse ce mardi soir [21 mai] le documentaire « Centrales nucléaires, démantèlement impossible ? » (dans lequel je suis interrogée), alors que le débat public sur le stockage des déchets sur le site de Bure dans la Meuse démarre. Un débat vain puisque tout est déjà décidé. [On pourrait regarder le documentaire jusqu'au 28 mai.]
Cigeo : retenez le sigle du Centre industriel de stockage géologique – et notez que le mot radioactivité en est aussi absent que les rayonnements sont invisibles. De la même manière, l’Andra, l’Agence nationale des déchets radioactifs, tient absolument à persuader l’opinion et les politiques de la réversibilité du stockage sous la commune de Bure.
Mais dans 1 000 ans, on aura encore 100 000 TBq de produits radiotoxiques à vie longue, très longue et très, très longue sous ce qui ne sera peut-être plus la commune de Bure.
Un débat vain
LES DÉCHETS
Au bout de 100 ans, il restera dans les matrices vitrifiées du site de Bure :
- 20 TBq (térabecquerels) de Samarium151 (demie-vie : 90 ans)
- 0,5 TBq de Tc99 (demie-vie : 210 000 ans)
- 2 TBq d’Americium241 (demie-vie : 458 ans) et deux fois plus d’Americium243 (demie-vie : 7 600 ans)
- 1 TBq de Plutonium239 (demie-vie : 24 000 ans) et le double de Plutonium240 (demie-vie : 6 800 ans)
- 28,5 TBq de Neptunium237(demie-vie : 2,1 millions d’années…).
Ajoutons que l’activité de ce Neptunium237 augmentera encore longtemps car il est le descendant de l’Americium241 – petit exemple de l’alchimie à l’œuvre dans un déchet de combustible atomique – et atteindra notamment 30 TBq au bout de 1 000 ans !
Certains parlent de cadeau empoisonné laissé à nos enfants. Quelle courte vue ! Quelle faiblesse de leur pensée ! On voit des technocrates bien lisses fiers d’éviter que cet « héritage » soit caché sous 500 mètres de roche grâce à leurs soins.
Ils se payent de mots et aimeraient sans doute qu’on les remercie pour leurs efforts. Et on entend des opposants ergoter sur les risques d’accident de transport, de pépin lors des manipulations de surface ou durant la descente des « colis » vers leur dernière demeure, de fuites futures vers les nappes phréatiques, etc.
Le débat sombre dans des considérations techniques probabilistes où les uns vous accablent de certitudes modélisées, que les autres rejettent pour la raison que le pire n’est pas modélisable.
Comme en réalité la décision est prise depuis le début et que l’on a évidemment dépassé tout point de non-retour eu égard aux seules sommes dépensées pour cette unique solution, tout cela semble assez vain.
Qui va payer ?
Une certaine technocratie française se sait hors d’atteinte et ne craint donc rien du simulacre de concertation que les politiques organisent sans vergogne. Le seul débat est en réalité celui engagé entre les payeurs potentiels et fictifs – car en dernier ressort, c’est le contribuable qui paiera – et les demandeurs. EDF ne dispose pas d’une once des 35 milliards d’euros nécessaires à un projet qui au départ ne devait coûter que 15 milliards !
Nous ne vivons pas une démocratie à l’américaine où un projet équivalent – celui de Yucca Mountain, immense installation souterraine commencée en 1978, qui a englouti des dizaines de milliards de dollars, a été récemment abandonné. Les universitaires indépendants, alliés à des édiles et associations des villes, comtés et Etats environnants, n’avaient pas reçu de réponses satisfaisantes du porteur du projet (le très puissant DoE, Department of Energy, une institution mille fois plus forte que l’Andra).
Une question posée à l’humanité
Tentons de prendre le recul historique nécessaire pour aborder ce sujet dans toutes ses dimensions.
L’unité de temps à considérer est 1 000 siècles, soit environ deux fois la durée d’existence de notre espèce Homo sapiens sapiens.
Nos sociétés et organisations politiques se comptent au maximum en dizaines de siècles (la Chine est une exception où tous les textes anciens – parce que idéographiques – restent compréhensibles aux Chinois d’aujourd’hui). Mais, même en Chine, ces quelque quarante siècles de profondeur historique sont jalonnés de périodes troublées par des guerres internes ou des invasions. L’« Armée enterrée » de Xian (220 avant J.-C.) n’a été découverte qu’en 1976 par un paysan qui labourait son champ…
Il est totalement impossible de prévoir ce que les hommes seront conduits à faire dans le sous-sol à l’horizon ne serait-ce que d’un siècle. Raisonner à partir des exploitations actuelles est évidemment illusoire.
Le stockage de déchets radioactifs à Bure, à Yucca Mountain ou àOnkalo en Finlande n’est pas un problème national : c’est une question qui est posée à l’espèce humaine. En effet, aucun « décideur » national ne peut prétendre que l’autorité territoriale dont il tire sa responsabilité soit légitime pour décider dans des affaires qui concernent une ère future… qui n’a pas encore de nom ! Il faut une dose d’arrogance hallucinante pour défendre de tels dossiers.
Un traité international, le seul horizon
Aucune instance internationale existante n’est crédible pour la prise en charge du problème. Car on verrait bien les « Ponce Pilate » qui nous tiennent lieu de dirigeants dans ces affaires se défausser en confiant le bébé radioactif à l’ONU et ses agences adoratrices et promotrices de l’énergie atomique et des radiations. Car le déni des conséquences sanitaires des essais et des catastrophes atomiques ne plaide décidément pas en leur faveur.
Conclusion : la situation est bloquée et sans issue dans les conditions actuelles. Il vaut mieux que chacun assume sa responsabilité à court terme, celle dont il peut rendre compte tangiblement, en conservant ses déchets en surface chez lui. Mettre la poussière radioactive sous le tapis est aujourd’hui la pire des solutions. L’interdiction d’exportation devrait faire l’objet d’un traité international : c’est aujourd’hui le seul objectif réaliste bien que très difficile à atteindre. Quelle responsable aura la lucidité de la porter ?
Avec Yves Lenoir, membre du GT-OT en 1974-75 (Groupe de travail - options techniques pour les déchets radioactifs, sous-groupe du Groupe interministériel d’évaluation de l’environnement).
http://blogs.rue89.com/corinne-lepage/2013/05/21/stockage-des-dechets-radioactifs-cest-quoi-mille-siecles-230367
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