1972: Un ouvrier aux commandes de la grande presse des plaques d'amiante à l'usine Eternit à Niederurnen. Sans aucune protection. (Keystone) |
En juin 2013, l’ancien propriétaire Suisse d'Eternit Italie (de 1976 à 1986), Stephan Schmidheiny, a été condamné à 18 ans de prison à Turin pour avoir provoqué la mort de près de 3'000 personnes, ouvriers ou riverains d'usines d'amiante d'Eternit en Italie, dans le plus grand procès au monde et premier au pénal sur la fibre tueuse. La Cour d'appel a en revanche abandonné les poursuites contre le baron belge Louis de Cartier de Marchienne, ancien actionnaire et administrateur d'Eternit Italie au début des années 70. Le baron de Cartier est décédé le 21 mai 2013 à l'âge de 92 ans.
Extrait de « La justice italienne ne pouvait pas fermer ses yeux », swissinfo.ch, 7 juin 2013 :
Le procureur Raffaele Guariniello de Turin envisage d’ouvrir également une procédure pour 200 Italiens qui ont travaillé dans les usines Eternit de Niederurnen (canton de Glaris) et de Payerne (Vaud), qui sont ensuite retournés en Italie et qui y sont morts à cause de l’amiante. Cette enquête pourrait concerner non seulement Stephan Schmidheiny, mais aussi les anciens dirigeants des usines Eternit en Suisse et la Suva [caisse suisse d’assurance-accidents].
En Suisse, les plaintes déposées contre les anciens dirigeants d’Eternit ont été refusées par le Tribunal fédéral parce que les délais de prescription étaient dépassés. La Suisse est un cas à part: la prescription pénale est de dix ans après que le travailleur a inhalé de l’amiante, alors que dans tous les pays de l’Union européenne, le délai commence à courir à partir du moment où la personne tombe malade. Pour les maladies causées par l’amiante, qui ont de très longues périodes d’incubation, c’est une chose vraiment absurde.
Extrait de « La justice italienne ne pouvait pas fermer ses yeux », swissinfo.ch, 7 juin 2013 :
Le procureur Raffaele Guariniello de Turin envisage d’ouvrir également une procédure pour 200 Italiens qui ont travaillé dans les usines Eternit de Niederurnen (canton de Glaris) et de Payerne (Vaud), qui sont ensuite retournés en Italie et qui y sont morts à cause de l’amiante. Cette enquête pourrait concerner non seulement Stephan Schmidheiny, mais aussi les anciens dirigeants des usines Eternit en Suisse et la Suva [caisse suisse d’assurance-accidents].
En Suisse, les plaintes déposées contre les anciens dirigeants d’Eternit ont été refusées par le Tribunal fédéral parce que les délais de prescription étaient dépassés. La Suisse est un cas à part: la prescription pénale est de dix ans après que le travailleur a inhalé de l’amiante, alors que dans tous les pays de l’Union européenne, le délai commence à courir à partir du moment où la personne tombe malade. Pour les maladies causées par l’amiante, qui ont de très longues périodes d’incubation, c’est une chose vraiment absurde.
La Cour européenne des droits de l’homme pourrait peut-être changer cela…mais pas au niveau pénal, seulement du point de vue civil et de la responsabilité du droit administratif. La Cour de Strasbourg est d’ailleurs en train de traiter les plaintes d’une personne contre ABB et contre la Suva pour non-respect des obligations de surveillance.
En 2011, le Tribunal fédéral avait dit que les victimes qui s’annonçaient plus de dix ans après leur dernier contact avec l’amiante ne pouvaient plus prétendre à un dédommagement de la part de leur employeur. Si la Cour des droits de l’homme infirme ce jugement et donne raison à la victime, ce serait un véritable tremblement de terre. Il faudrait alors changer les lois suisses et de très nombreuses victimes pourraient faire valoir leurs droits rétroactivement. Les signaux qui nous parviennent de Strasbourg sont positifs et nous disent que nous pourrions gagner dans ces causes.
Eternit a exporté ses victimes, il est urgent de les retrouver
En 2011, le Tribunal fédéral avait dit que les victimes qui s’annonçaient plus de dix ans après leur dernier contact avec l’amiante ne pouvaient plus prétendre à un dédommagement de la part de leur employeur. Si la Cour des droits de l’homme infirme ce jugement et donne raison à la victime, ce serait un véritable tremblement de terre. Il faudrait alors changer les lois suisses et de très nombreuses victimes pourraient faire valoir leurs droits rétroactivement. Les signaux qui nous parviennent de Strasbourg sont positifs et nous disent que nous pourrions gagner dans ces causes.
Eternit a exporté ses victimes, il est urgent de les retrouver
par François Iselin, Solidarités, no. 34 – 8 octobre 2003
Les résultats d’une importante enquête viennent d’être publiés. 1 Elle visait à retrouver les dossiers des victimes de l’amiante qui avaient travaillé chez Eternit à Niederurnen (GL), comme immigré-e-s italiens en Suisse, avant de s’en retourner dans leur pays où ils/elles ont été atteints de mésothéliome de la plèvre ou du péritoine 2, les cas d’asbestose
ou d’autres cancers de l’amiante n’étant pas pris en compte. Quinze cas ont ainsi pu être identifiés et décrits grâce à la collaboration étroite entre une dizaine de services de prévention à travers toute l’Italie, qui ont exploré les registres régionaux des décès par mésothéliome.
Cette étude, qui retrace les «histoires de vie» de ces femmes et de ces hommes, est de première importance pour les comités tels que CAOVA 3, qui se battent pour exiger l’information et l’indemnisation des victimes des Schmidheiny en Suisse et dans le monde, où ils avait généralisé l’utilisation de l’amiante et la production d’amiante-ciment, exposant ainsi la santé des dizaines de milliers de salarié-e-s.
Cette étude est loin d’être exhaustive. 4 Des centaines de travailleurs d’Eternit AG sont probablement déjà morts en Italie, Espagne, Turquie, et ceci dans l’indifférence générale, dans l’ignorance des causes de leur maux, sans bénéficier des soins nécessaires ni de la moindre indemnisation pour eux et leur proches. 5 Cette étude démontre – en démentant ainsi
les dires d’Eternit et de la SUVA – qu’il est possible de retrouver toutes les victimes d’Eternit ayant travaillé en Suisse et dans le monde, les aidant ainsi, elles et leurs proches, à affronter leur désarroi et leur douleur. Ces recherches doivent être entreprises au plus vite, avant que l’évolution fatale de leur maladie ne puisse être taxée de non assistance à salariés-e-s en danger de mort.
Silence, on tue…
Les victimes identifiées sont douze hommes et trois femmes, immigrés italiens en Suisse, ayant travaillé pour l’entreprise Eternit à Niederurnen, dans le canton de Glaris. Elles s’occupaient du vidage des ballots d’amiante, du moulage des plaques, des tuyaux et autres produits en amiante-ciment, ainsi que de la découpe et de la finition de ces produits. Aucune des quinze victimes n’avait subi une autre exposition à l’amiante, qu’à Eternit. Elles venaient pour la plupart de Vénétie et des Pouilles. Le tiers d’entre elles n’ont pas été indemnisé par la SUVA, faute… de s’être annoncés! En effet, la grande majorité d’entre elles ignorent encore les conséquences mortelles de leur travail!
Jusqu’en 1994, Niederurnen fabriquait des produits en amiante-ciment, tels que plaques plates et ondulées de couverture de toitures ou de façades, tuyaux, bacs à fleurs 6, etc. Le travail consistait à mélanger des fibres d’amiante avec du ciment et de l’eau pour faire une pâte à mouler qui donne, après durcissement, des produits minces en ciment micro-armé, résistant
aux intempéries et aux contraintes mécaniques. Ouverte en 1904, cette usine a été dédoublée en 1958 par celle de Payerne. Elles ont été complétées par cinq centres de distribution des produits Eternit en Suisse, tout aussi dangereux, puisque les plaques y étaient longtemps débitées à sec, sans aspiration, dégageant de grandes quantités de fibres respirables.
Malgré le scandale de l’amiante, Eternit n’a jamais cessé d’être une affaire florissante pour la famille Schmidheiny. Seul changement: les fibres d’amiante ont été progressivement remplacées, dès 1990, par des fibres synthétiques et de bois, beaucoup moins nocives que l’amiante chrysotile, crocidolite et amosite, utilisée précédemment.
Ayant produit de l’amiante-ciment pendant 90 ans (1904-1994) avec une moyenne de 150 personnes (un millier lors de l’abandon de l’amiante) et une rotation moyenne de 10 ans (selon l’étude), Eternit AG Niederurnen aurait exposé plus de 1300 salarié-e-s, en majorité immigrés. Ce nombre doit être doublé pour tenir compte de l’usine de Payerne et des cinq centres de distribution en Suisse. Mais ce n’est hélas pas tout, puisqu’il faut considérer les milliers de personnes affectées en amont de l’industrie de l’amiante-ciment (extraction, conditionnement et transport de l’amiante) et en aval (découpage, perçage et meulage des produits sur les chantiers du bâtiment et du génie civil). Ce recensement doit encore concerner les nombreuses entreprises qui ont utilisé de l’amiante, celles du flocage notamment. Ce sont donc plusieurs milliers de salarié-e-s qui ont été exposés en Suisse. Bien sûr, ces chiffres ne sont que de grossières estimations, dont la marge d’erreur incombe exclusivement à la rétention volontaire d’informations de la part des entreprises et assurances qui détiennent les noms et adresses de toutes ces personnes menacées, dont la plupart pourraient être sauvées si elles étaient informées, conseillées et suivies médicalement.
Agir maintenant!
Contrairement à ce que prétend Eternit, la grande majorité des travailleurs-euses n’a pas été protégée à temps, ni informée des risques, et ne l’est toujours pas. Eternit AG n’a commencé à prendre quelques mesures de prévention que depuis 1970. 7 Ces mesures n’ont apparemment eu aucun effet, au contraire, puisque l’étude montre que les travailleurs-euses occupés depuis ont été victimes du mésothéliome et que, plus grave encore, leur espérance de vie s’est progressivement raccourcie (voir graphique II).
Voici les principaux enseignements que nous retenons de cette étude: Pour les 2/3 des victimes, le diagnostic de mésothéliome a eu lieu avant les 60 ans (graphique I), soit avant l’âge de la retraite. Les décès se répartissent probablement entre 43 et 73 ans.
L’espérance de vie des plus jeunes tend à être plus courte (graphique II). Les mesures préventives prises par Eternit n’ont pas eu d’effet et seul l’abandon définitif de l’amiante permet d’en prévenir les dommages, comme nous l’avons toujours affirmé.
Pour certaines victimes, l’intoxication mortelle par l’amiante a eu lieu au cours d’une très courte période d’activité chez Eternit, pour le tiers d’entre elles en moins de 6 ans d’activité.
Le temps de latence – soit le nombre d’années entre l’inhalation des fibres d’amiante et l’apparition du mésothéliome (graphique III) – ne dépend pas de la durée de l’exposition. Il est de 33 ans ± 5 ans. On en déduit que tous les salarié-e-s de moins de 60 ans qui ont été exposés à l’amiante doivent être informés des risques et suivis médicalement.
«L’exposition à l’amiante dans cette entreprise a déjà causé un nombre important de cancers professionnels parmi les employés, dont une large proportion d’immigrés. Afin d’éviter une sous-estimation du risque et de permettre une compensation, les maladies qui surviennent chez les travailleurs immigrés retournés chez eux doivent être évaluées».
Cette conclusion de l’étude sera aussi la nôtre: il est urgent que toutes les entreprises de Suisse qui ont exposé des salarié-e-s à l’amiante, leur assurance – en particulier la SUVA et l’AVS – ainsi que leurs syndicats – notamment le SIB, la FTMH et le SIT – les informent immédiatement. En ce qui concerne la multinationale Eternit, la rétention des informations permettant de prévenir les personnes qu’elle a exposées, en Suisse et dans une trentaine de pays, n’est autre qu’un refus d’assistance à personne en danger qui fait suite à la mise en danger de la vie d’autrui.
François ISELIN
1. Meiler E., Bizzotto R., Calisti R. et al., Mesotheliomas among Italians, returned to the home country, who worked when migrant at a cement-asbestos factory in Switzerland, Soz.-Präventivmed. 48, Basel, 2003 (p. 65-69)
2. Les mésothéliomes sont des cancers spécifiques de l’amiante qui affectent l’enveloppe des poumons et des cavités abdominales. Le mésothéliome est extrêmement douloureux; on ne connaît pas de traitement et son issue est fatale à court terme.
3. CAOVA: Comité d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante. Case postale 2475, 1002 Lausanne. CCP 10-25551-5, mention «CAOVA». Site Web: <http://www.caova.ch/>. Mail <info@caova.ch>
4. «Le nombre de mésothéliomes que nous avons identifiés est probablement sous-estimé: notre recherche a été limitée à quelques régions d’Italie, les registres de certaines régions sont trop récents ou ne retiennent pas tous les cas advenus» Les auteurs de l’étude, p. 67.
5. Dans un communiqué de presse daté du 26 février 2002, Eternit reconnaissait «qu’environ 45 employés qui ont travaillé à Niederurnen sont décédés des suites d’un mésothéliome». Ce chiffre est dérisoire à la lumière des 15 cas relevés par les recherches en Italie.
6. PSO, Eternit: poison et domination, une multinationale de l’amiante, Veritas-Verlag 1983. Bien qu’ancien cet ouvrage reste une bonne source d’information. Quelques exemplaires en français et allemand peuvent encore être obtenus en s’adressant à CAOVA.
7. Des mesures de la contamination alarmante de l’air ont été effectuées dans l’usine de Niederurnen dès 1955 par le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux(EMPA) mais les mesures de prévention qui en découlaient n’ont été prises qu’en 1970 soit 10 ans après que l’évidence du caractère cancérogène de l’amiante ait été prouvée.
Représente les périodes de la vie des 15 victimes, classées selon leur date de naissance. L’année de leur décès n’est pas connue, mais elle peut être estimée à un an environ après le diagnostic d’un mésothéliome. On indique le sexe de la victime: trois femmes – parmi les victimes les plus âgées – et 12 hommes. Voici un exemple pour faciliter la lecture de ce graphique: la première victime est un homme, né en 1926, ayant travaillé chez Eternit de 1953 à 1971 et dont le diagnostic a été établi en 1987.
Met en évidence le fait que, plus les salariés d’Eternit étaient jeunes, plus leur espérance de vie se raccourcissait. Ceci dément les dires d’Eternit selon lesquels des mesures de protection de la santé auraient été prises. La ligne en pointillé indique cette tendance.
Le temps de latence est considéré ici comme le nombre d’années entre l’exposition – un an après le début de l’activité – et le diagnostic. La ligne en pointillé indique que les temps de latence sont très proches, en moyenne de 33 ans et ne dépendent pas de la durée de l’exposition.
http://www.solidarites.ch/journal/d/printarticle/1103
Les résultats d’une importante enquête viennent d’être publiés. 1 Elle visait à retrouver les dossiers des victimes de l’amiante qui avaient travaillé chez Eternit à Niederurnen (GL), comme immigré-e-s italiens en Suisse, avant de s’en retourner dans leur pays où ils/elles ont été atteints de mésothéliome de la plèvre ou du péritoine 2, les cas d’asbestose
ou d’autres cancers de l’amiante n’étant pas pris en compte. Quinze cas ont ainsi pu être identifiés et décrits grâce à la collaboration étroite entre une dizaine de services de prévention à travers toute l’Italie, qui ont exploré les registres régionaux des décès par mésothéliome.
Cette étude, qui retrace les «histoires de vie» de ces femmes et de ces hommes, est de première importance pour les comités tels que CAOVA 3, qui se battent pour exiger l’information et l’indemnisation des victimes des Schmidheiny en Suisse et dans le monde, où ils avait généralisé l’utilisation de l’amiante et la production d’amiante-ciment, exposant ainsi la santé des dizaines de milliers de salarié-e-s.
Cette étude est loin d’être exhaustive. 4 Des centaines de travailleurs d’Eternit AG sont probablement déjà morts en Italie, Espagne, Turquie, et ceci dans l’indifférence générale, dans l’ignorance des causes de leur maux, sans bénéficier des soins nécessaires ni de la moindre indemnisation pour eux et leur proches. 5 Cette étude démontre – en démentant ainsi
les dires d’Eternit et de la SUVA – qu’il est possible de retrouver toutes les victimes d’Eternit ayant travaillé en Suisse et dans le monde, les aidant ainsi, elles et leurs proches, à affronter leur désarroi et leur douleur. Ces recherches doivent être entreprises au plus vite, avant que l’évolution fatale de leur maladie ne puisse être taxée de non assistance à salariés-e-s en danger de mort.
Silence, on tue…
Les victimes identifiées sont douze hommes et trois femmes, immigrés italiens en Suisse, ayant travaillé pour l’entreprise Eternit à Niederurnen, dans le canton de Glaris. Elles s’occupaient du vidage des ballots d’amiante, du moulage des plaques, des tuyaux et autres produits en amiante-ciment, ainsi que de la découpe et de la finition de ces produits. Aucune des quinze victimes n’avait subi une autre exposition à l’amiante, qu’à Eternit. Elles venaient pour la plupart de Vénétie et des Pouilles. Le tiers d’entre elles n’ont pas été indemnisé par la SUVA, faute… de s’être annoncés! En effet, la grande majorité d’entre elles ignorent encore les conséquences mortelles de leur travail!
Jusqu’en 1994, Niederurnen fabriquait des produits en amiante-ciment, tels que plaques plates et ondulées de couverture de toitures ou de façades, tuyaux, bacs à fleurs 6, etc. Le travail consistait à mélanger des fibres d’amiante avec du ciment et de l’eau pour faire une pâte à mouler qui donne, après durcissement, des produits minces en ciment micro-armé, résistant
aux intempéries et aux contraintes mécaniques. Ouverte en 1904, cette usine a été dédoublée en 1958 par celle de Payerne. Elles ont été complétées par cinq centres de distribution des produits Eternit en Suisse, tout aussi dangereux, puisque les plaques y étaient longtemps débitées à sec, sans aspiration, dégageant de grandes quantités de fibres respirables.
Malgré le scandale de l’amiante, Eternit n’a jamais cessé d’être une affaire florissante pour la famille Schmidheiny. Seul changement: les fibres d’amiante ont été progressivement remplacées, dès 1990, par des fibres synthétiques et de bois, beaucoup moins nocives que l’amiante chrysotile, crocidolite et amosite, utilisée précédemment.
Ayant produit de l’amiante-ciment pendant 90 ans (1904-1994) avec une moyenne de 150 personnes (un millier lors de l’abandon de l’amiante) et une rotation moyenne de 10 ans (selon l’étude), Eternit AG Niederurnen aurait exposé plus de 1300 salarié-e-s, en majorité immigrés. Ce nombre doit être doublé pour tenir compte de l’usine de Payerne et des cinq centres de distribution en Suisse. Mais ce n’est hélas pas tout, puisqu’il faut considérer les milliers de personnes affectées en amont de l’industrie de l’amiante-ciment (extraction, conditionnement et transport de l’amiante) et en aval (découpage, perçage et meulage des produits sur les chantiers du bâtiment et du génie civil). Ce recensement doit encore concerner les nombreuses entreprises qui ont utilisé de l’amiante, celles du flocage notamment. Ce sont donc plusieurs milliers de salarié-e-s qui ont été exposés en Suisse. Bien sûr, ces chiffres ne sont que de grossières estimations, dont la marge d’erreur incombe exclusivement à la rétention volontaire d’informations de la part des entreprises et assurances qui détiennent les noms et adresses de toutes ces personnes menacées, dont la plupart pourraient être sauvées si elles étaient informées, conseillées et suivies médicalement.
Agir maintenant!
Contrairement à ce que prétend Eternit, la grande majorité des travailleurs-euses n’a pas été protégée à temps, ni informée des risques, et ne l’est toujours pas. Eternit AG n’a commencé à prendre quelques mesures de prévention que depuis 1970. 7 Ces mesures n’ont apparemment eu aucun effet, au contraire, puisque l’étude montre que les travailleurs-euses occupés depuis ont été victimes du mésothéliome et que, plus grave encore, leur espérance de vie s’est progressivement raccourcie (voir graphique II).
Voici les principaux enseignements que nous retenons de cette étude: Pour les 2/3 des victimes, le diagnostic de mésothéliome a eu lieu avant les 60 ans (graphique I), soit avant l’âge de la retraite. Les décès se répartissent probablement entre 43 et 73 ans.
L’espérance de vie des plus jeunes tend à être plus courte (graphique II). Les mesures préventives prises par Eternit n’ont pas eu d’effet et seul l’abandon définitif de l’amiante permet d’en prévenir les dommages, comme nous l’avons toujours affirmé.
Pour certaines victimes, l’intoxication mortelle par l’amiante a eu lieu au cours d’une très courte période d’activité chez Eternit, pour le tiers d’entre elles en moins de 6 ans d’activité.
Le temps de latence – soit le nombre d’années entre l’inhalation des fibres d’amiante et l’apparition du mésothéliome (graphique III) – ne dépend pas de la durée de l’exposition. Il est de 33 ans ± 5 ans. On en déduit que tous les salarié-e-s de moins de 60 ans qui ont été exposés à l’amiante doivent être informés des risques et suivis médicalement.
«L’exposition à l’amiante dans cette entreprise a déjà causé un nombre important de cancers professionnels parmi les employés, dont une large proportion d’immigrés. Afin d’éviter une sous-estimation du risque et de permettre une compensation, les maladies qui surviennent chez les travailleurs immigrés retournés chez eux doivent être évaluées».
Cette conclusion de l’étude sera aussi la nôtre: il est urgent que toutes les entreprises de Suisse qui ont exposé des salarié-e-s à l’amiante, leur assurance – en particulier la SUVA et l’AVS – ainsi que leurs syndicats – notamment le SIB, la FTMH et le SIT – les informent immédiatement. En ce qui concerne la multinationale Eternit, la rétention des informations permettant de prévenir les personnes qu’elle a exposées, en Suisse et dans une trentaine de pays, n’est autre qu’un refus d’assistance à personne en danger qui fait suite à la mise en danger de la vie d’autrui.
François ISELIN
1. Meiler E., Bizzotto R., Calisti R. et al., Mesotheliomas among Italians, returned to the home country, who worked when migrant at a cement-asbestos factory in Switzerland, Soz.-Präventivmed. 48, Basel, 2003 (p. 65-69)
2. Les mésothéliomes sont des cancers spécifiques de l’amiante qui affectent l’enveloppe des poumons et des cavités abdominales. Le mésothéliome est extrêmement douloureux; on ne connaît pas de traitement et son issue est fatale à court terme.
3. CAOVA: Comité d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante. Case postale 2475, 1002 Lausanne. CCP 10-25551-5, mention «CAOVA». Site Web: <http://www.caova.ch/>. Mail <info@caova.ch>
4. «Le nombre de mésothéliomes que nous avons identifiés est probablement sous-estimé: notre recherche a été limitée à quelques régions d’Italie, les registres de certaines régions sont trop récents ou ne retiennent pas tous les cas advenus» Les auteurs de l’étude, p. 67.
5. Dans un communiqué de presse daté du 26 février 2002, Eternit reconnaissait «qu’environ 45 employés qui ont travaillé à Niederurnen sont décédés des suites d’un mésothéliome». Ce chiffre est dérisoire à la lumière des 15 cas relevés par les recherches en Italie.
6. PSO, Eternit: poison et domination, une multinationale de l’amiante, Veritas-Verlag 1983. Bien qu’ancien cet ouvrage reste une bonne source d’information. Quelques exemplaires en français et allemand peuvent encore être obtenus en s’adressant à CAOVA.
7. Des mesures de la contamination alarmante de l’air ont été effectuées dans l’usine de Niederurnen dès 1955 par le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux(EMPA) mais les mesures de prévention qui en découlaient n’ont été prises qu’en 1970 soit 10 ans après que l’évidence du caractère cancérogène de l’amiante ait été prouvée.
Représente les périodes de la vie des 15 victimes, classées selon leur date de naissance. L’année de leur décès n’est pas connue, mais elle peut être estimée à un an environ après le diagnostic d’un mésothéliome. On indique le sexe de la victime: trois femmes – parmi les victimes les plus âgées – et 12 hommes. Voici un exemple pour faciliter la lecture de ce graphique: la première victime est un homme, né en 1926, ayant travaillé chez Eternit de 1953 à 1971 et dont le diagnostic a été établi en 1987.
Met en évidence le fait que, plus les salariés d’Eternit étaient jeunes, plus leur espérance de vie se raccourcissait. Ceci dément les dires d’Eternit selon lesquels des mesures de protection de la santé auraient été prises. La ligne en pointillé indique cette tendance.
Le temps de latence est considéré ici comme le nombre d’années entre l’exposition – un an après le début de l’activité – et le diagnostic. La ligne en pointillé indique que les temps de latence sont très proches, en moyenne de 33 ans et ne dépendent pas de la durée de l’exposition.
http://www.solidarites.ch/journal/d/printarticle/1103
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