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22 sept. 2018

L’électrocardiogramme par l’Apple Watch: peut-être efficace, mais pas forcément utile

"Ces appareils d’auto-mesure peuvent être utiles chez des patients qui ressentent des symptômes, comme des palpitations. Mais en dehors de ces cas particuliers, «cela ne répond pas à un gros besoin de santé publique», estiment les experts."

L’électrocardiogramme par l’Apple Watch: peut-être efficace, mais pas forcément utile
Par Soline Roy lefigaro.fr, 18 septembre 2018

La nouvelle génération d’Apple Watch peut réaliser pour la première fois un électrocardiogramme simplifié (aux Etats-Unis d’abord). Une avancée technique attendue avec prudence par les cardiologues.

Cela a le parfum d’une bonne idée: l’électrocardiogramme pour tous, facilement disponible (à partir de 429 euros tout de même...), qui détecterait une pathologie cardiaque capable d’évoluer à bas bruit mais à l’origine d’accidents graves. Telle est la promesse de l’Apple Watch Series 4, dotée d’une fonction électrocardiogramme (ECG) censée pouvoir dépister un des troubles du rythme cardiaque. «Enregistrer en temps réel des données sur le cœur d’un patient change la façon dont nous pratiquons la médecine», s’est enthousiasmé le Dr Ivor Benjamin, président de l’American Heart Association, sur la scène de la keynote organisée par Apple la semaine dernière.

Mais alors, qu’en est-il? Cette nouvelle montre connectée va-t-elle réellement sauver des vies?



Que promet l’Apple Watch?

La dernière version de la montre connectée d’Apple promet de réaliser, en 30 secondes, un électrocardiogramme pour dépister une éventuelle fibrillation atriale (ou fibrillation auriculaire). La FA est le plus fréquent des troubles du rythme cardiaque. Elle se caractérise par une contraction rapide et irrégulière des oreillettes, les deux cavités supérieures du muscle cardiaque qui réceptionnent le sang avant de le transmettre aux ventricules.

Les symptômes de la FA ne sont pas toujours présents, ou pas très spécifiques. Le patient peut ressentir des palpitations, une fatigue, un essoufflement, faire des malaises ou être la proie d’une douleur thoracique voire d’un simple sentiment d’angoisse. Mais les conséquences possibles d’une fibrillation atriale sont graves, avec un risque augmenté de thromboembolie et d’AVC (accident vasculaire cérébral).

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L’Apple Watch est-elle réellement capable de réaliser un ECG?

Là où sa sœur aînée ne savait que prendre le pouls, l’Apple Watch Séries 4 s’est dotée de deux électrodes, l’une située sur le dessous de la montre (la face en contact avec le poignet), l’autre sur le bouton sur le côté de l’appareil (sur laquelle l’utilisateur doit poser le doigt de l’autre main pendant 30 secondes). Puis un algorithme sur une application dédiée permet de calculer si le rythme cardiaque est normal (sinusal) ou si une fibrillation atriale est présente.

Entre le poignet gauche et le doigt de la main droite, le signal enregistré correspond à une seule dérivation (D1) sur les 12, voir 18 dans certaines urgences, réalisées lors d’un ECG. Chaque dérivation permet de «voir» une zone particulière du cœur. «Ici, la seule information qu’on aura est la fréquence cardiaque», précise le Dr Jérémy Descoux, cardiologue et créateur de la chaîne Youtube d’histoire de la médecine Asclepios. «On saura si le cœur est régulier ou pas, mais pas, par exemple, s’il y a un infarctus. Les 12 dérivations sont nécessaires pour poser un vrai diagnostic.»

Est-elle la première à le faire?

Non. Un dispositif de la société Alive Cor, notamment, avait déjà été validé par les autorités sanitaires américaines pour mesurer le rythme cardiaque avec un petit dispositif relié à un smartphone ou une Apple Watch. Plusieurs appareils (dont la précédente version de la montre d’Apple) peuvent enregistrer le pouls, donc potentiellement dépister un trouble du rythme. Mais la fiabilité n’est pas toujours au rendez-vous. Une étude américaine publiée en mai dernier dans Jama Cardiologymontrait ainsi qu’en «vie réelle», hors hôpital, la sensibilité et la spécificité du dispositif étaient inférieures à 70%. Soit une chance sur trois de se tromper...

Y a -t-il des risques de faux diagnostic?

Cela fait plusieurs années que l’utilisation d’un smartphone ou d’une montre connectée dans la détection de la FA fait son chemin. «Technologiquement c’est tout à fait possible, et les algorithmes sont plutôt pertinents et efficaces», concède le Dr Descoux.

Mais outre le fait qu’il s’agit, avec une seule dérivation, d’un ECG très parcellaire, le tracé peut être faussé, par exemple si le patient fait un mouvement pendant l’enregistrement: un tracé ECG mesure l’activité électrique du cœur, chaque perturbation du signal est interprétée comme une activité cardiaque. «Si le patient bouge, il peut y avoir des faux positifs», met donc en garde Jérémy Descoux. «Nous confions des appareils à des patients pour réaliser des tracés de longue durée, donc nous sommes habitués à voir des parasites et à savoir si le tracé est interprétable», tempère le Dr Walid Amara, rythmologue au CH Le Raincy-Montfermeil et coordinateur du groupe rythmologie au Collège national des cardiologues des hôpitaux (CNCH). «Mais c’est vrai que lorsqu’on prête un appareil à un patient, on lui montre d’abord comment l’utiliser correctement.»

Le dispositif a-t-il été validé?

La Food and drug administration (FDA) a approuvé le dispositif proposé par Apple, et son commissaire Scott Gottlieb a annoncé la volonté de la FDA de «travailler avec l’industrie technologique pour encourager les innovations en santé digitale». Détail qui a son importance, et qu’Apple ne mentionne que discrètement: si la montre elle-même sera commercialisée à partir du 21 septembre, l’application ECG est attendue d’ici la fin de l’année aux États-Unis, et aux États-Unis uniquement. Pour mesurer le rythme cardiaque du reste du monde, dont la France, Apple devra d’abord obtenir le blanc-seing des autorités sanitaires locales.

Pour le moment, aucune étude scientifique ayant validé le dispositif et l’algorithme qui l’accompagne n’a été publiée. La FDA aurait basé sa décision sur une (petite) étude, l’Apple Heart Study, menée par la firme avec l’Université de Stanford sur une population de 588 personnes dont la moitié souffrait de fibrillation atriale. La montre aurait été capable d’identifier 98% des malades et 99% des personnes en bonne santé, mais 10% des tracés étaient illisibles par le cardiologue, selon des médias américains.

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L’ECG pour tous, est-ce que cela sert à quelque chose?

La fibrillation auriculaire touche moins de 1% des moins de 60 ans, mais 10% après 80 ans. Or les plus âgés ne sont pas précisément la cible principale des objets connectés, qui, même dédiés à la santé, sont plutôt utilisés par une population jeune et active. D’aucuns s’interrogent donc sur l’utilité d’un tel système pour une population a priori peu concernée. «Cela peut être intéressant pour quelqu’un qui ressent, par exemple, des palpitations de façon intermittente. Elles n’apparaîtront pas forcément en présence du cardiologue, qui ne pourra donc rien enregistrer. Il m’est déjà arrivé de traiter un patient venu avec son propre tracé qui montrait un trouble du rythme», note le Dr Amara.

Mais réaliser un électrocardiogramme de façon systématique sur une population non symptomatique n’est pas utile, selon plusieurs études publiées récemment. Reprenant 3 essais réalisés sur un total de 18.000 personnes, des chercheurs de Caroline du Nord montraient ainsi début août que sur une population à risque de fibrillation atriale, mais non symptomatique, un ECG ne dépistait pas plus de FA que la simple prise de pouls par un médecin. Quant à l’US Preventive Service Task Force, instance américaine chargée d’émettre des recommandations sur l’efficacité de soins préventifs sur des patients non symptomatiques, elle s’est prononcée en juin 2018 «contre l’exploration par ECG à l’effort ou au repos, chez des adultes asymptomatiques et à bas risque cardiovasculaire», estimant que les bénéfices n’étaient pas évidents tandis que les risques étaient bien réels, notamment ceux liés à d’éventuels gestes invasifs motivés par un résultat douteux d’ECG.

Le risque de traitement inutiles?

«Il faudra faire attention à ce que cela n’engendre pas des consultations inutiles ou des inquiétudes injustifiées», note le Dr Amara. «On risque de traiter par anticoagulant (et donc exposer à des saignements) des patients qui n’en auraient pas besoin», s’inquiète pour sa part le Dr Florian Zores, cardiologue à Strasbourg et membre du groupe insuffisance cardiaque et cardiomyopathies à la Société française de cardiologie. «Il existe des scores, mêlant plusieurs facteurs de risque, qui permettent de savoir s’il est utile de mettre le patient sous anticoagulant», tempère Walid Amara. «Si cela permet de diagnostiquer plus de FA et d’éviter des AVC, je n’hésiterai pas à mettre un patient sous anticoagulant. En revanche, intervenir pour remettre le cœur à un rythme régulier si le patient ne ressent pas de symptômes, cela ne vaut probablement pas le coup.»

Pour le médecin, un intérêt ou un danger?

L’Apple Watch se vante de permettre l’enregistrement et l’envoi des données recueillies au médecin du porteur. «Recevoir 30 mails Apple Watch, sans pouvoir examiner ou discuter directement avec les patients, et devoir gérer les angoisses des gens au téléphone... Qui accepterait de faire ça?», s’écrie Jérémy Descoux, qui craint l’afflux de patients inquiets, comme ils peuvent déjà l’être par les mesures de rythme cardiaque parfois erratiques réalisées par certains objets connectés. Walid Amara se montre moins inquiet: «Je n’ai pour ma part pas vu de boom des consultations liées à ça.»

Bref, ces appareils d’auto-mesure peuvent être utiles chez des patients qui ressentent des symptômes, comme des palpitations. Mais en dehors de ces cas particuliers, «cela ne répond pas à un gros besoin de santé publique», estiment les experts.

Reste la question des potentielles conséquences juridiques de ces systèmes; si le patient est en train de faire un infarctus, quid de la responsabilité du médecin, qui a rassuré son patient à tort mais n’avait en fait aucun moyen de «voir» cet infarctus avec l’unique dérivation analysée? Quid du patient qui croyait à tort avoir un appareil capable de répondre à cette question?

Soline Roy
Auteur - Sa biographie

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