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8 juin 2023

Cet appareil qui tue en classe

Cet appareil qui tue en classe
par Sophie Godbout - L’autrice est enseignante au secondaire - Opinion - ledevoir.com, 5 juin 2023

Depuis le début de 2023, trois études québécoises (dont celle du centre de recherche du CHU Sainte-Justine) ont démontré les effets négatifs des médias sociaux sur les jeunes : mauvaise estime de soi, anxiété, dépression et même suicide…

Monsieur Drainville, je vous en révèle davantage, comme si ce n’était pas suffisant.

(Photo) : iStock «Monsieur Drainville, je vous invite à réfléchir à l’interdiction massive du cellulaire en classe», écrit l’autrice.

Il est 8 h, j’entre en classe pour m’installer. Plusieurs élèves sont déjà arrivés, mais c’est le silence. Ils sont tous rivés à leur appareil et ne lèvent même pas les yeux pour me saluer. Ils ne se parlent pas : ils regardent leur écran. C’est magique comme ils sont tranquilles et silencieux en cet instant… Aucun échange, que le silence. Chaque fois, je m’étonne qu’on ait crié haut et fort que les jeunes devaient revenir à l’école pour socialiser lors de la pandémie. Je dois dire que ce bout m’échappe parce que, presque tous les matins, ça recommence… C’est une victime, la socialisation, de ce supposé outil de communication. Et si les élèves se parlent, le sujet, c’est le contenu, la vidéo qu’ils regardent.

Une autre victime : la langue. Les contenus écoutés sont en anglais. En soi, ce n’est pas mauvais. Mais lorsqu’on ne lit plus le français et que l’activité de la soirée est de consulter son téléphone, il ne faut pas se surprendre que le vocabulaire des adolescents diminue et de voir « exercise » couramment dans les copies. La syntaxe y goûte également. Les tournures de phrase ont un penchant pour l’anglais… Lire entre les lignes, les inférences, devient également un problème lorsqu’on ne sait pas lire par manque de pratique.

Avez-vous déjà tenté de courir un marathon sans entraînement ? L’anxiété peut bien plafonner… face à l’épreuve ! On voit également apparaître beaucoup de plans d’intervention avec des outils comme le dictionnaire électronique ou Lexibar qui sont des prédicteurs de mots, comme lorsqu’on utilise son téléphone… Hasard ou conséquence ? Je dois aider les élèves, au secondaire, à chercher dans le dictionnaire. Triste situation ! Alors, on leur permet de consulter Usito sur leur téléphone. Pourquoi pas ? C’est beaucoup plus rapide, moins exigeant et ils ont tous un téléphone, même ceux qui n’en auraient pas le moyen. C’est essentiel, voyons !

Ce préambule sur la nécessité du portable me permet d’introduire une troisième victime : l’autonomie, qualité essentielle à la vie adulte. Les parents savent où est leur enfant et peuvent le joindre à tout moment. La joie ! Même pendant les heures de cours, les parents textent. J’ai même déjà répondu à un parent qui avait appelé pendant le cours. Charmant comme attention d’appeler à cette heure pour parler à son fils ! Il n’y a pas de limite à cette omniprésence, et la communication se fait à tout moment : on peut appeler maman ou papa pour se faire rassurer si ça ne va pas bien, pour l’avertir d’une mauvaise note avant qu’elle n’apparaisse en ligne ou pour se faire consoler de cette note.

Partout, partout, tout le temps ! Il est rassurant de savoir où se trouve notre enfant et de pouvoir le joindre en tout temps, mais à quel moment apprendra-t-il à se débrouiller ? Je vous rappelle qu’il est à l’école, pas dans la brousse ou la jungle. Il doit quitter l’école pour revenir à la maison ? Je pense que, dans l’ensemble, les jeunes devraient y arriver. Il peut arriver un malheur ? Je peux vous rassurer, nous avons survécu, et ce, pour plusieurs générations… Je vous suggère de souper tous ensemble, sans vos téléphones, et de parler du déroulement de vos journées : vous serez informés et développerez la socialisation, le tour de parole, la patience, le respect, l’empathie, et j’en passe…

Je m’arrête ici, car je pourrais écrire des lignes et des lignes. La situation est inquiétante, d’autant plus que les téléphones, ce sont nous, les adultes, qui les offrons. À qui rendons-nous service et procurons-nous la tranquillité ? Et le pire est à venir : l’IA pensera pour eux…

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/792326/education-cet-appareil-qui-tue-en-classe

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