Résumé du film par Arte :
Zamosc, en Pologne orientale : au hasard d’un tournage dans cette région rurale, Lech Kowalski rencontre en 2009 des paysans sur les terres desquels de grandes firmes américaines ont commencé à prospecter pour extraire du gaz de schiste. Fissures dans les murs des fermes, pollution des eaux, bulldozers investissant des champs à quelques dizaines de mètres des habitations… Les villageois sont inquiets. Or cette situation locale n’a rien d’anecdotique et témoigne d’un phénomène qui menace aujourd’hui toute la planète. Bradford County, aux États-Unis, est au gaz de schiste ce que l’Arabie Saoudite est au pétrole. Mais on est loin de l’image idyllique d’une "énergie non conventionnelle" propre et d’exploitation aisée que veulent donner les industriels. Dans ce petit comté du nord-est des États-Unis, le réalisateur filme des paysages dévastés et l’épuisement physique et psychologique des habitants.
UN COMBAT INÉGAL
Cinéaste underground, passionné par les groupes à la marge (les SDF dans Rock soup, les punks dans Born to lose) et les grandes tragédies de l’histoire européenne (Hitler’s highway), Lech Kowalski s’aventure ici dans les profondeurs de la campagne polonaise. Il dépeint le combat inégal de petites gens victimes de contrats léonins, pour la sauvegarde de leurs villages, de leurs maisons, de leurs exploitations agricoles, de leur eau et de leur santé – et qui remportent quelques victoires inattendues. L’enjeu est de taille : la Pologne voit dans cette énergie nouvelle une promesse d’indépendance vis-à-vis du gaz russe. À l'instar du travail d'investigation entrepris il y a deux ans aux États-Unis par Josh Fox dans Gasland – disponible en DVD chez ARTE Éditions –, ce documentaire constitue une mine d’informations sur les pratiques des compagnies de forage et sur les conséquences de cette exploitation sur la vie quotidienne des Européens.
Gaz de schiste, forage au ventre
par Coralie Schaub, Libération, 29 janvier 2013
Né à Londres de parents polonais, Lech Kowalski parle anglais avec l’accent américain et vit en France. Cinéaste peu habitué au prime-time (c’est son premier ce soir), il aime observer les gens en marge, les SDF, les junkies new-yorkais, les punks à la dérive. Il a notamment signé, en 1980, D.O.A., un « rockumentaire » devenu culte, consacré à l’unique tournée américaine des Sex Pistols. Depuis quelques années, il promène sa caméra en Pologne.
Votre film raconte comment des villageois polonais sont parvenus à faire plier le géant pétrolier Chevron. Est-ce un cas unique ?
A ma connaissance, oui. Il y a bien un autre endroit où les gens se battent contre les forages de gaz de schiste, au nord de la Pologne, mais pour l’instant, ils ont échoué. Les responsables de Chevron n’ont jamais voulu nous parler, ni aux agriculteurs ni à moi. Les raisons pour lesquelles ils ont renoncé à forer sur la commune de Rogów restent donc un mystère. Sur le hameau adjacent, Zurawlow, c’est sans doute parce qu’ils avaient procédé de manière illégale et craignaient la mauvaise publicité. Cela dit, la compagnie fore en ce moment un puits à 12 kilomètres de là. La partie n’est donc pas terminée du tout.
Ceux qui s’opposent aux gaz de schiste subissent-ils des pressions en Pologne ?
Oui. Les rares mouvements antigaz de schiste sont infiltrés, espionnés par les autorités, qui l’ont d’ailleurs admis. Et ils sont accusés d’être antipolonais, à la solde du gazier russe Gazprom. Voire « communistes » ou « terroristes ».
Êtes-vous un militant écologiste ?
Non, juste un réalisateur qui croit à la vérité, s’en tient aux faits et raconte des histoires avec une certaine esthétique. Je ne suis pas un activiste, j’ai peur de ce mot, qui décrédibiliserait mon travail. D’ailleurs, je suis tombé sur ce sujet par hasard, alors que je tournais un film sur les petits paysans. Nous avons découvert les gaz de schiste ensemble, eux et moi. Là, c’est vrai, j’ai un peu quitté mon rôle de simple réalisateur quand j’ai vu qu’ils avaient besoin d’aide. Le fait que je sois là, que je les filme, leur apportait un soutien psychologique et favorisait leur combat. Mais j’ai toujours tenu à rester très prudent et ne pas être confondu avec eux. Même si, désormais, je suis convaincu qu’exploiter les gaz de schiste est une mauvaise chose.
Pourquoi ?
J’ai compris que les compagnies gazières, toujours très secrètes, cachent des tas de choses, pour un tas de raisons (impacts environnementaux, sommes en jeu…). Et ce que j’ai découvert aux Etats-Unis m’a choqué, m’a ouvert les yeux. Les compagnies se comportent en colons. Elles sont prêtes à sacrifier des régions entières pour enrichir leurs actionnaires. L’Etat de Pennsylvanie est couvert de milliers de puits. Cela vous agresse physiquement, ne serait-ce que par le trafic incessant des camions, les constructions de pipelines partout, la pollution de l’eau… Cet endroit va devenir un no man’s land. Et les multinationales considèrent les autres pays de la même façon. Les zones sacrifiées vont se multiplier dans le monde.
Connaissez-vous Josh Fox, le réalisateur du documentaire Gasland, qui a été l’un des premiers à montrer les ravages des gaz de schiste aux États-Unis ?
Je l’ai filmé, je lui ai parlé. Le style de nos films est différent, mais nous parvenons exactement à la même conclusion. Il faudrait être insensible, dépourvu de sentiments, pour qu’il en soit autrement. Nous assistons à une nouvelle forme de guerre civile, menée par les multinationales contre les citoyens. Celles-ci ont davantage de pouvoir que les gouvernements, qui se plient à leur lobbying en adaptant les lois. Ce qui est intéressant, c’est de voir à quel point la résistance des citoyens, sur le terrain, transcende les frontières idéologiques et politiques.
C’est-à-dire ?
Les petits fermiers que j’ai rencontrés en Pologne sont pour la plupart éduqués. Mais beaucoup sont socialement conservateurs. Ils vont à l’église, n’aiment pas les homosexuels… Lutter contre les gaz de schiste change leur état d’esprit, ils deviennent plus tolérants. En Pennsylvanie, j’ai filmé un homme qui a pris le risque de perdre son job en refusant de transporter de l’eau polluée dans son camion prévu pour l’eau propre. Cet homme qualifie Barack Obama de « nègre » et aime les armes à feu. Mais là-bas, je crains qu’il ne soit trop tard pour se battre. Le mal est fait.
http://www.ecrans.fr/Ce-que-j-ai-decouvert-m-a-choque,15877.html
La malédiction du gaz de schiste
(France, 2012, 75mn)
ARTE
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