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20 janv. 2013

Gaz de schiste : un engouement mondial, mais beaucoup de doutes

Puits de forage de gaz de schiste à Grzebowilk, à l'est de
la Pologne, en avril 2011 ( AFP/Janek Skarzynski)
par Audrey Garric, Le Monde.fr, 21 décembre 2012 

Va-t-on vers un âge d'or du gaz de schiste ? La question est ouverte, alors que le boom des hydrocarbures non conventionnels en Amérique du Nord bouscule la donne énergétique planétaire en affaiblissant la domination des producteurs traditionnels, comme le Moyen-Orient ou la Russie.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit ainsi que d'ici à 2035, le gaz non conventionnel (dont le gaz de schiste) fournira près de 30 % de la production gazière mondiale, contre 16 % en 2011. Pourtant, si de nombreux pays procèdent à des prospections et des évaluations de leurs réserves, seuls les Etats-Unis se sont aujourd'hui engouffrés dans une exploitation à grande échelle de cette ressource tant prometteuse que décriée.

S'il pourrait permettre d'accéder au Graal de l'indépendance énergétique – tout en créant des milliers d'emplois – le gaz de schiste est vertement critiqué pour ses conséquences néfastes pour l'environnement. Parmi les très nombreuses études produites à son sujet, un rapport de la Commission européenne évoquait en juin une empreinte écologique supérieure à celle du gaz conventionnel, et pointait les risques de contamination des sols et eaux souterraines liés à son exploitation, qui nécessite l'utilisation de milliers de produits chimiques et d'immenses quantités d'eau.

Amérique du Nord

Lancée il y a plusieurs décennies, l'exploitation des gaz de schiste a explosé auxEtats-Unis au milieu des années 2000. Le pays renfermerait en effet les deuxièmes plus grosses ressources de la planète, à savoir 25 000 milliards de mètres cubes techniquement extractibles, selon les estimations de l'Agence d'information sur l'énergie américaine (EIA).

La production est alors passée de 20 milliards de m3 en 2005 à 220 milliards en 2011, avec plus de 100 000 puits en fonctionnement. Au point qu'en 2011, les gaz de schiste représentaient 34 % de la production de gaz américaine, selon l'AIE. Résultat de cette stratégie, largement soutenue par la Maison Blanche : les Etats-Unis deviendront le premier producteur de gaz au monde en 2015, devant la Russie.

La hausse va-t-elle se poursuivre ? Sur cette question, les projections diffèrent. Selon le scénario haut de l'AIE, dans son rapport Golden Rules for a Golden Age of Gas, la proportion de schiste dans la production de gaz pourrait grimper à 45 % en 2035. Mais dans le cas d'une opposition plus forte des Etats (comme le Vermont, qui a interdit en mai la fracturation hydraulique) et de régulations plus strictes, un scénario bas prévoit une production qui croît jusqu'en 2017, avant de revenir aux niveaux de 2010.

"La croissance de la production est déjà moins forte en 2012 que lors des cinq dernières années. Cette tendance au ralentissement pourrait se poursuivre si le prix du gaz reste très bas, ce qui incite les entreprises à forer en priorité du pétrole", explique Anne-Sophie Corbeau, responsable des marchés gaziers à l'AIE. Côté américain, l'EIA table sur une augmentation régulière de la production de gaz de schiste, avec un gain de 100 milliards de m3 entre 2011 et 2021.


A l'opposé de son voisin américain, l'exploitation des gaz de schiste au Canada est encore embryonnaire, avec 2 milliards de m3 l'an dernier. S'il n'y a pas de régulation fédérale sur leur exploitation, ces hydrocarbures font l'objet d'une forte défiance de la population, spécialement au Québec, où des fuites ont été découvertes dans 11 des 31 puits de la région l'an dernier. La demande en gaz y est par ailleurs plus faible qu'aux Etats-Unis. 

Plus au sud, le Mexique possèderait les 4es plus vastes ressources au monde, après la Chine, les Etats-Unis et l'Argentine, avec 19 000 milliards de m3récupérables, selon l'EIA. Jusqu'à présent non exploité pour des raisons économiques, ce gaz intéresse aujourd'hui le gouvernement, qui veut relancer sa production d'hydrocarbures. Le Plan national de l'énergie 2012-2026 du ministère de l'énergie prévoit ainsi une production de 34 milliards de m3 de gaz de schiste en 2026, soit 40 % de la production totale de gaz. Quelque 60 000 puits pourraient être forés dans les cinquante prochaines années, essentiellement par la compagnie pétrolière nationale Pemex. 

Europe

Aucune politique commune n'existe dans le Vieux-Continent sur la question du gaz de schiste, le Parlement européen ayant seulement refusé de l'interdire. "L'Union européenne pourrait être intéressée par l'exploitation du schiste pour s'affranchir du gaz russe, dont elle dépend à 40 % pour ses importations. Mais il n'existe aucune certitude quant aux réserves disponibles, dans la mesure où seuls les nouveaux forages peuvent permettre d'estimer les gisements", prévient Bastien Alex, chercheur sur l'énergie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Or, les inquiétudes environnementales de la population bloquent l'essentiel de l'exploration. 

Ainsi, la France, qui disposerait des plus importantes réserves du continent avec 5 100 milliards de m3 exploitables, a voté une loi, le 13 juillet 2011, interdisant la principale technique d'extraction, la fracturation hydraulique, et gelé les permis d'exploitation pendant cinq ans, sous la pression de l'opinion publique. 

Néanmoins, le gouvernement n'a pas fermé la porte à la recherche sur des techniques alternatives. "La recherche est possible sur d'autres techniques que celle de la fracturation hydraulique. Pour l'instant, cette recherche n'a pas abouti, je ne peux pas l'interdire, elle n'est pas interdite pas la loi", avait déclaré le président de la République à la mi-novembre.

Lire : Hollande relance le débat sur les gaz de schiste en France

Au contraire, la Pologne, le pays européen le plus pro-gaz de schiste, dopé par des premières estimations mirobolantes de l'EIA (qui parlait initialement de gisements de 5 300 milliards de m3) a déjà effectué une trentaine de forages exploratoires sur trois sites. Les réserves ont cependant été revues à la baisse en mars, divisées par un facteur dix par l'Institut national de géologie.

Le géant ExxonMobil vient par ailleurs d'annoncer son retrait du pays, déclarant les gisements explorés inexploitables – même si la décision pourrait aussi s'expliquer par ses intérêts concurrents en Russie. Le gouvernement de Varsovie maintient néanmoins son projet d'une exploitation commerciale en 2014, afin de s'affranchir des ressources gazières de son voisin russe, sur lesquelles il s'appuie à hauteur de 60%.

Lire : Les gisements polonais de gaz de schiste moins prometteurs que prévu

La Grande-Bretagne, dont 40 % de l'électricité vient du gaz, a aussi décidé de reprendre, le 14 décembre, la fracturation hydraulique, un an et demi après deux séismes qui avaient inquiété les Britanniques. Les promesses de ressources de gaz de schiste avancées par la firme britannique Cuadrilla Resources (3 000 milliards de m3) sont pour le pays un gage d'indépendance énergétique accrue."Même si nous ne parvenions à en exploiter que 10 %, cela suffirait à fournir le quart de la demande britannique pendant trente ans", a fait miroiter Francis Egan, son directeur. Mais rien ne dit à ce jour que les réserves se concrétiseront.

Lire : La Grande-Bretagne autorise l'exploration de gaz de schiste

Ailleurs en Europe, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie abriteraient à elles trois environ autant de gisements que la Pologne (540 milliards de m3). Si Budapest, favorable au schiste, a accordé de nombreux permis depuis 2009,Sofia a interdit en janvier 2012 l'utilisation de la fracturation hydraulique, après des protestations de la population, et Bucarest a imposé un moratoire en mai face aux risques sismiques déjà très élevés dans le pays.

En Allemagne aussi, le gouvernement a suspendu les recherches, en attendant les conclusions d'un groupe de travail réunissant scientifiques, industriels et politiques. Par contre, l'Irlande, l'Autriche, les Pays-Bas, la Suède, le Danemarket l'Espagne sont ouverts à l'exploration.

Asie

C'est la grosse inconnue qui existe aujourd'hui sur le marché international du gaz : quelles sont les véritables réserves en gaz de schiste de la Chine ? L'EIA les a estimées à 36 000 milliards de m3, soit les plus vastes au monde, tandis que le ministère de la terre et des ressources chinois parle de 25 000 milliards.

A cette incertitude sur les chiffres s'ajoutent des difficultés techniques : les ressources chinoises sont situées très en profondeur, dans des zones soit arides – alors que la fracturation hydraulique nécessite d'immenses quantités d'eau – soit très peuplées. La Chine manque par ailleurs d'infrastructures, telles que des gazoducs, pour relier les gisements essentiellement situés dans le nord du pays aux principaux marchés, sur la côte. Enfin, à l'instar des carburants, le contrôle public des prix du gaz risque de nuire à la rentabilité des projets des industriels sur place.

"Il est encore impossible d'estimer la production chinoise d'ici à vingt ans. Il s'agit d'une incertitude géopolitique énorme pour les grands pays exportateurs de gaz", assure Anne-Sophie Corbeau. L'AIE a ainsi réalisé deux scénarios très différents de production de gaz non conventionnels d'ici à 2035, l'un à 115 milliards de m3 et l'autre à 390 milliards (dont 56 % de gaz de schiste). Pékin, lui, s'est fixé pour objectif, en mars dernier, d'extraire 6,5 milliards de m3 par an d'ici à 2015 avant d'atteindre entre 60 et 100 milliards en 2020.

Aujourd'hui, la production est balbutiante, l'Empire du milieu commençant seulement à s'intéresser à cette ressource encore très chère par rapport au charbon. Un appel d'offres a été lancé en 2011, donnant lieu à des licences d'exploitation pour les trois compagnies pétrolières nationales, CNPC, Sinopec et CNOOC. Un second est actuellement en cours, ouvert aux groupes étrangers à condition qu'ils forment des coentreprises avec un partenaire chinois. Shell a signé un partenariat avec CNPC tandis que Total s'est allié avec Sinopec.

Afrique

L'Afrique du Nord possède également des réserves importantes de gaz de schiste sous le Sahara. L'Algérie cherche notamment à exploiter cette ressource, qui représenterait quatre fois ses réserves conventionnelles (6 500 milliards de m3). L'entreprise publique Sonatrach est leader sur ce marché, mais une nouvelle loi sur les hydrocarbures, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale algérienne, vise, par une révision de la fiscalité, à rendre plus attractif le secteur pétrogazier pour les compagnies étrangères. Un accord aurait été signé dans ce sens avec la France, jeudi 20 décembre, permettant des recherches françaises sur le territoire algérien. Shell serait par ailleurs en négociation avec les autorités algériennes et tunisiennes en vue d'exploiter ces gisements. Mais les ONG s'inquiètent de la pression hydraulique pour un pays qui couvre juste ses besoins en eau potable. La Libye voisine (dont les gisements s'élèveraient à 8 000 milliards) envisagerait aussi des explorations.

A l'autre extrémité du continent, l'Afrique du Sud a, sous la pression de l'industrie pétrolière, levé en septembre son moratoire sur l'exploration des gaz de schiste. Le pays compte produire la moitié de son électricité grâce à ces gaz, dont les réserves sont estimées à 14 000 milliards de m3 dans le désert du Karoo, à l'ouest du pays.

Amérique du Sud

Avec 22 000 milliards de m3 de gaz de schiste stockés dans son sous-sol, l'Argentine s'avère le 3e pays mondial en termes de réserves exploitables, juste après la Chine et les Etats-Unis, selon l'EIA. YPF, la compagnie pétrolière contrôlée par l'Etat, serait en discussion avec la norvégienne Statoil et l'américaine Chevron pour exploiter ces gisements.

Océanie

L'Australie a une production en hausse de l'un des gaz non conventionnels, àsavoir le gaz de houille (6 milliards de m3 en 2011). L'industrie du gaz de schiste, elle, débute tout juste : la première production et commercialisation de cet hydrocarbure a été effectuée cet été par la compagnie nationale Santos. Les entreprises étrangères sont aussi sur le pont : Total a annoncé en novembre avoirsigné un accord avec la société Central Petroleum pour l'exploration des réserves, estimées à 11 000 milliards de m3.

Audrey Garric

http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/12/21/gaz-de-schiste-un-engouement-mondial-mais-beaucoup-de-doutes_1809052_3244.html


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