Williston, "eldorado trompeur" : traumatismes provoqués sur les champs pétroliers, hôpitaux croulés sous les urgences et les dettes, femmes victimes d'agressions sexuelles, logements dans les voitures où les gens meurent du froid ...
par Stéphane Bussard, Le Temps, 9 février 2013
Le Dakota du Nord reste l’Etat qui crée le plus d’emplois en Amérique. Confronté à une forme de capitalisme sauvage, il voit toutefois ses hôpitaux crouler sous les urgences et les dettes, et les femmes victimes d’agressions sexuelles
Le Dakota du Nord est la success story de l’Amérique. Depuis quatre ans, cet Etat du Midwest détient le record de créations d’emplois. Son taux de chômage (3,2%) est le plus bas du pays. Des forçats du travail dur mais bien rémunéré y affluent de toute l’Amérique. Dans la ville de Williston, qui est passée en quelques années de 12 000 habitants à plus de 30 000, des campements de fortune, des man camps, ont proliféré aux alentours du centre. Le ballet de camions est incessant, qui transportent ici du pétrole, là des produits pétrochimiques.
Le boum pétrolier a toutefois un prix pour les habitants de Williston. «On parle désormais de loyers proches de ceux de Manhattan», confie au Temps Moez Jbir, 32 ans, originaire de Tunis, où ses parents vivent toujours. Les hôpitaux paient aussi la rançon de ce succès. Les métiers gravitant autour du forage de pétrole sont dangereux. Doigts, mains ou bras sectionnés lors d’une fausse manœuvre. Selon le New York Times, la dette de l’hôpital du comté de McKenzie a augmenté de 2000% au cours des quatre dernières années. En 2009, l’hôpital enregistrait 100 urgences par mois. En 2012, ce nombre a bondi à 400. Les traumatismes provoqués sur les champs pétroliers ont progressé de 200% depuis 2008.
Devenu Américain en 2010, Moez Jbir travaille sur des derricks pour la société Sun Well Energy. Il a conscience des risques. «Chaque matin, je signe un papier légal, le Job Safety Analysis. Il y a quelques mois toutefois, l’un de mes colocataires a été frappé par une lourde chaîne. Il est décédé dans l’hélicoptère qui le transportait. Je vais néanmoins rester ici encore un an. Je mets de l’argent de côté et, qui sait, je créerai peut-être un jour ma propre entreprise.»
Cette explosion des cas d’urgence médicale a un coût puisqu’elle nécessite une augmentation du personnel hospitalier et des salaires pour le retenir. De plus, de nombreuses «gueules noires» n’ont souvent pas d’assurance maladie. Les hôpitaux sont obligés de les traiter. Certains patients ne s’acquittent pas de la facture médicale, indiquant une adresse erronée. Le directeur de l’hôpital du comté de McKenzie, Daniel Kelly, n’a d’autre choix que de demander à l’Etat du Dakota du Nord, dont l’excédent budgétaire dépasse le milliard de dollars, de venir en aide.
Dans cet eldorado trompeur, les plus chanceux habitent dans des man camps, mais beaucoup logent dans des abris de fortune ou, pire, dans leur véhicule. «Cet hiver, plusieurs personnes sont mortes de froid dans leur voiture», déplore Moez Jbir.
En neuf mois à Williston, Dan Hagopian, 48 ans, en a vu de toutes les couleurs. Ce docteur en philosophie de Boston, bardé de diplômes, en bave: «Si j’avais dix ans de moins, ça irait. Parfois, nos habits sont imbibés de pétrole. A la moindre étincelle, on s’enflamme.» Lors du dernier mois, Dan Hagopian a recensé deux morts sur les champs de pétrole. «Le dernier en date, c’était un père de trois enfants, un vétéran de l’US Air Force. Il avait 49 ans. Il a ouvert une valve par erreur. Il y a eu une explosion et de l’eau a jailli à 20 mètres de haut. Nous avons couru vers lui. On a attendu l’ambulance pendant quarante minutes.»
L’universitaire de Boston, à qui il ne restait que 1000 dollars en poche, a voulu toutefois relever le défi de Williston pour se renflouer. Chargé de préparer les explosifs nécessaires à la fracturation hydraulique des schistes regorgeant d’hydrocarbures, il admet avoir vu des choses «dégoûtantes». Trois de ses colocataires sont en prison. L’un a battu le nouveau copain de son amie enceinte de huit mois, un trafiquant de drogue. Un autre a dévalisé une bijouterie et le troisième a été arrêté en état d’ébriété au volant de sa voiture non immatriculée.
Avec le boum du pétrole, le Dakota du Nord est devenu un univers masculin. Les femmes sont rares et de plus en plus victimes de harcèlement sexuel. Dans les boîtes de nuit, les stripteaseuses font fortune. Dan Hagopian évite d’aller au bar et préfère inviter des amis dans son appartement d’une pièce. «Certains de mes collègues travaillent dix-huit heures d’affiliés, puis vont au bar de 18 heures à 2 heures du matin. Et ils boivent beaucoup d’alcool. D’eux d’entre eux ont récemment été arrêtés par un policier, qui a même trouvé de la cocaïne dans leur voiture. Il les a laissés partir. Une chose impensable ailleurs aux Etats-Unis.»
Dan Hagopian estime que, pour survivre dans un tel environnement, il faut être humble et savoir interagir avec n’importe qui, avoir une indépendance émotionnelle par rapport à la famille qu’on laisse derrière soi, être prêt à accepter un emploi moins qualifié et les ordres d’un jeune sans éducation. Parce qu’il tient à la vie, cet Américain d’origine arménienne tente de choisir les collaborateurs avec lesquels il travaille. Sans être guidé par le seul appât du gain, Dan Hagopian, qui gagne 85 000 dollars par an, espère accéder à un poste d’ingénieur avec 350 000 dollars à la clé. «Je ne suis pas avide d’argent. Mais on ne vit pas à 3000 kilomètres de ses proches, dans une ville folle par –30 degrés pour ne pas en retirer de plus grands bénéfices.»
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/89904c7c-7226-11e2-ae5e-e28c0128bbff/La_face_cach%C3%A9e_du_boom_p%C3%A9trolier_%C3%A0_Williston#.USUg0qWcdjR
Le Dakota du Nord est la success story de l’Amérique. Depuis quatre ans, cet Etat du Midwest détient le record de créations d’emplois. Son taux de chômage (3,2%) est le plus bas du pays. Des forçats du travail dur mais bien rémunéré y affluent de toute l’Amérique. Dans la ville de Williston, qui est passée en quelques années de 12 000 habitants à plus de 30 000, des campements de fortune, des man camps, ont proliféré aux alentours du centre. Le ballet de camions est incessant, qui transportent ici du pétrole, là des produits pétrochimiques.
Le boum pétrolier a toutefois un prix pour les habitants de Williston. «On parle désormais de loyers proches de ceux de Manhattan», confie au Temps Moez Jbir, 32 ans, originaire de Tunis, où ses parents vivent toujours. Les hôpitaux paient aussi la rançon de ce succès. Les métiers gravitant autour du forage de pétrole sont dangereux. Doigts, mains ou bras sectionnés lors d’une fausse manœuvre. Selon le New York Times, la dette de l’hôpital du comté de McKenzie a augmenté de 2000% au cours des quatre dernières années. En 2009, l’hôpital enregistrait 100 urgences par mois. En 2012, ce nombre a bondi à 400. Les traumatismes provoqués sur les champs pétroliers ont progressé de 200% depuis 2008.
Devenu Américain en 2010, Moez Jbir travaille sur des derricks pour la société Sun Well Energy. Il a conscience des risques. «Chaque matin, je signe un papier légal, le Job Safety Analysis. Il y a quelques mois toutefois, l’un de mes colocataires a été frappé par une lourde chaîne. Il est décédé dans l’hélicoptère qui le transportait. Je vais néanmoins rester ici encore un an. Je mets de l’argent de côté et, qui sait, je créerai peut-être un jour ma propre entreprise.»
Cette explosion des cas d’urgence médicale a un coût puisqu’elle nécessite une augmentation du personnel hospitalier et des salaires pour le retenir. De plus, de nombreuses «gueules noires» n’ont souvent pas d’assurance maladie. Les hôpitaux sont obligés de les traiter. Certains patients ne s’acquittent pas de la facture médicale, indiquant une adresse erronée. Le directeur de l’hôpital du comté de McKenzie, Daniel Kelly, n’a d’autre choix que de demander à l’Etat du Dakota du Nord, dont l’excédent budgétaire dépasse le milliard de dollars, de venir en aide.
Dans cet eldorado trompeur, les plus chanceux habitent dans des man camps, mais beaucoup logent dans des abris de fortune ou, pire, dans leur véhicule. «Cet hiver, plusieurs personnes sont mortes de froid dans leur voiture», déplore Moez Jbir.
En neuf mois à Williston, Dan Hagopian, 48 ans, en a vu de toutes les couleurs. Ce docteur en philosophie de Boston, bardé de diplômes, en bave: «Si j’avais dix ans de moins, ça irait. Parfois, nos habits sont imbibés de pétrole. A la moindre étincelle, on s’enflamme.» Lors du dernier mois, Dan Hagopian a recensé deux morts sur les champs de pétrole. «Le dernier en date, c’était un père de trois enfants, un vétéran de l’US Air Force. Il avait 49 ans. Il a ouvert une valve par erreur. Il y a eu une explosion et de l’eau a jailli à 20 mètres de haut. Nous avons couru vers lui. On a attendu l’ambulance pendant quarante minutes.»
L’universitaire de Boston, à qui il ne restait que 1000 dollars en poche, a voulu toutefois relever le défi de Williston pour se renflouer. Chargé de préparer les explosifs nécessaires à la fracturation hydraulique des schistes regorgeant d’hydrocarbures, il admet avoir vu des choses «dégoûtantes». Trois de ses colocataires sont en prison. L’un a battu le nouveau copain de son amie enceinte de huit mois, un trafiquant de drogue. Un autre a dévalisé une bijouterie et le troisième a été arrêté en état d’ébriété au volant de sa voiture non immatriculée.
Avec le boum du pétrole, le Dakota du Nord est devenu un univers masculin. Les femmes sont rares et de plus en plus victimes de harcèlement sexuel. Dans les boîtes de nuit, les stripteaseuses font fortune. Dan Hagopian évite d’aller au bar et préfère inviter des amis dans son appartement d’une pièce. «Certains de mes collègues travaillent dix-huit heures d’affiliés, puis vont au bar de 18 heures à 2 heures du matin. Et ils boivent beaucoup d’alcool. D’eux d’entre eux ont récemment été arrêtés par un policier, qui a même trouvé de la cocaïne dans leur voiture. Il les a laissés partir. Une chose impensable ailleurs aux Etats-Unis.»
Dan Hagopian estime que, pour survivre dans un tel environnement, il faut être humble et savoir interagir avec n’importe qui, avoir une indépendance émotionnelle par rapport à la famille qu’on laisse derrière soi, être prêt à accepter un emploi moins qualifié et les ordres d’un jeune sans éducation. Parce qu’il tient à la vie, cet Américain d’origine arménienne tente de choisir les collaborateurs avec lesquels il travaille. Sans être guidé par le seul appât du gain, Dan Hagopian, qui gagne 85 000 dollars par an, espère accéder à un poste d’ingénieur avec 350 000 dollars à la clé. «Je ne suis pas avide d’argent. Mais on ne vit pas à 3000 kilomètres de ses proches, dans une ville folle par –30 degrés pour ne pas en retirer de plus grands bénéfices.»
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/89904c7c-7226-11e2-ae5e-e28c0128bbff/La_face_cach%C3%A9e_du_boom_p%C3%A9trolier_%C3%A0_Williston#.USUg0qWcdjR
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