"Big Pharma", un pamphlet violent mais étayé contre l’industrie pharmaceutique
par Gaëlle Fleitour, usinenouvelle.com, 5 septembre 2013
Publié le 5 septembre [2013], il ne risque pas de laisser indifférent. Coordonné par un Américain, le livre invoque douze opposants de l’industrie pharmaceutique (dont un ancien patron de la communication de Sanofi !), mais livre une démonstration efficace...
Une critique violente mais étayée. Publié ce jeudi 5 septembre, le livre " Big Pharma " ne cherche pas à faire consensus. Son sous-titre – "Une industrie toute-puissante qui joue avec notre santé" - en dit long. Coordonné par Mikkel Borch-Jacobsen, philosophe, historien et enseignant à l'université de Washington, avec l’aide de douze experts, lanceurs d'alerte et journalistes (dont deux Français : Philippe Pignarre, ancien directeur de la communication de Sanofi-Synthélabo, et Antoine Vial, expert en santé publique), il décortique une par une les mauvaises pratiques auxquelles peuvent avoir recours les laboratoires pour vendre à tout prix. Avec un parti-pris évident, bien sûr. Et un recours parfois exagéré au pathos, en évoquant en détail certains cas dramatiques.
DES SPOTS PUBLICITAIRES POUR " CRÉER " DES MALADIES
Ceci est "un ouvrage contre l’industrie qui détourne l’usage des médicaments pour faire du profit, au risque de mettre notre santé en danger et de profondément changer la nature de la médecine". L’ouverture du livre paraît bien naïve. Mais au fur et à mesure des pages, la démonstration se fait efficace. En remontant à 1962 et la première mise en examen d’une entreprise pharmaceutique aux Etats-Unis - Merrell, accusée d’avoir trafiqué des données sur les effets indésirables de son médicament anti-cholestérol -, qui a marqué le début de l’utilisation des essais cliniques tels qu’on les connaît aujourd’hui pour évaluer les médicaments. Les exemples s’enchaînent ensuite.
Du marketing réalisé auprès des médecins pour les inciter à prescrire en dehors des indications approuvées - comme dans l’affaire de l’adjuvant au diabète Mediator ou de l’anti-acnéique Diane 35 -, à la méthodologie biaisée des essais cliniques dont les essais négatifs ne sont pas publiés. En passant par les spots publicitaires visant à "créer" de nouvelles maladies aux yeux du public (la dysfonction sexuelle féminine pourrait ainsi bientôt apparaître sur nos écrans, car elle intéresserait Pfizer, Boehringer et Procter & Gamble selon les auteurs). Sans oublier la dépendance engendrée par des médicaments légalement prescrits, d’où le calvaire vécu par le héros de la série télévisée "Dr House", accroc à l’antalgique Vicodin.
CERTAINS MÉDICAMENTS TOUJOURS SUR LE MARCHÉ
En prenant des exemples médiatiques, récents et chiffrés, Mikkel Borch-Jacobsen livre une démonstration sans concession. Et n’épargne aucune entreprise. Les nourrissons victimes du Prépulsid de Johnson&Johnson, dont "ni la compagnie, ni ses cadres ne furent jamais inquiétés pour avoir minimisé les risques de leur médicament", affirme l’écrivain. L’opposition de Wyeth à ce qu’un oncologue étudie les risques cancérigènes de son traitement aux oestrogènes. Or, "malgré d’innombrables articles scandalisés dans la presse, malgré plus de 10 000 procès intentés à Wyeth (absorbé depuis par Pfizer) pour avoir caché les risques de ses médicaments, le Premarin et le Prempro n’ont toujours pas été retirés du marché", s’insurge Mikkel Borch-Jacobsen.
Il raconte aussi les évaluations de médicaments par des agences sanitaires dont les comités sont peuplés de consultants pour l’industrie pharmaceutique (après avoir été réalisée en France, la purge est d’ailleurs encore en cours dans l’Agence Européenne du Médicament, pour essayer de mettre fin à des conflits d’intérêt patents).
Et que dire des accidents cardio-vasculaires graves apparus durant les essais cliniques de l’Avandia de GSK (retiré depuis du marché en Europe), mais disparaissant des résultats présentés aux autorités sanitaires ? Cela a d’ailleurs valu à la firme anglaise une amende record de trois milliards de dollars, réglée à la justice américaine fin 2011. Eclairant également, les modifications réalisées par un salarié d’AstraZeneca en 2006 sur la page wikipedia de son produit - une nouvelle génération d’antipsychotique -, sur celles des produits concurrents, et même sur les pages des maladies en question !
Les chiffres aussi sont éloquents. "Les compagnies pharmaceutiques dépensent en moyenne à peu près deux fois autant en marketing qu’en R&D", nous apprend-on. Un ancien dirigeant de la R&D du français Sanofi expliquait en 2000 que 70 à 90% de la recherche était consacrée à mettre au point des "me-too", des copies de médicaments à la formule légèrement modifiée pour pouvoir la breveter. Enfin, les effets seraient responsables, en Europe, de 197 000 morts par an, soit la cinquième cause de décès à l’hôpital.
DES RACCOURCIS POUR ÉTAYER LA DÉMONSTRATION
Mais certains raccourcis dans l’ouvrage peuvent faire débat. Peut-on ainsi attribuer la tuerie de Columbine en 1999 aux seuls effets secondaires du Prozac (l’antidépresseur de Lilly) que prenaient les deux tueurs lycéens qui se suicidèrent ensuite ? Faut-il oublier les initiatives - certes encore trop peu nombreuses - prises par certains membres de l’industrie pharmaceutique pour lutter contre les maladies tropicales qui touchent les pays émergents? Que penser de la décision de l’allemand Merck de ne plus livrer depuis novembre 2012 son anticancéreux Erbitux aux hôpitaux publics grecs qui ne le réglaient plus ? La réponse des auteurs à tous ces maux - confier la recherche à des centres "déconnectés des centres de profit pharmaceutiques" - parait bien illusoire. Mais nul doute que l’ouvrage parviendra un peu plus à saper la mince confiance qu’ont les Français dans l’industrie pharmaceutique. Pour y remédier, cette dernière n’a plus qu’une solution : adopter une éthique lui assurant de ne plus nourrir ce type d’ouvrages à l’avenir…
Gaëlle Fleitour
"Big pharma, une industrie toute-puissante qui joue avec notre santé", éditions Les Arènes, 515 pages, 22,80 euros
http://www.usinenouvelle.com/article/big-pharma-un-pamphlet-violent-mais-etaye-contre-l-industrie-pharmaceutique.N204143
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