par Christian Rappaz, illustre.ch, 25 novembre 2018
© Magali Girardin |
Docteur, pourquoi avoir signé cette demande de moratoire contre la 5G en mai 2015?
Je vous en livre le résumé et vous comprendrez: «Nous soussignés, médecins, scientifiques et membres d’organisations environnementales de nombreux pays, demandons urgemment l’arrêt du déploiement du réseau sans fil de 5G (cinquième génération) y compris depuis les satellites spatiaux. En effet, la 5G entraînera une augmentation considérable de l’exposition au rayonnement de radiofréquences, qui s’ajoutera au rayonnement induit par les réseaux de télécommunications 2G, 3G et 4G déjà en place. Or on a déjà la preuve des effets nocifs du rayonnement de radiofréquences pour les êtres humains et l’environnement. Le déploiement de la 5G revient à mener des expériences sur les êtres humains et l’environnement, ce qui est considéré comme un crime en vertu du droit international.»
La Fédération des médecins suisses (FMH) s’oppose également à la demande des opérateurs d’augmenter la puissance des antennes relais dans notre pays. Peut-on dire qu’il y a une vraie levée de boucliers du secteur de la santé contre cette nouvelle technologie?
Je me demande si la FMH ne voit pas venir à moyen terme une épidémie de personnes électro-hypersensibles, avec tous les coûts induits et afférents au niveau de la santé, qui vont exploser. Les médecins sont de plus en plus confrontés à des maladies émergentes dues à des facteurs environnementaux. Au cours des dernières années, le niveau d’électrosmog a augmenté de manière exponentielle.
Doris Leuthard, notre ministre de l’Energie, a créé un groupe de travail chargé de se pencher sur le rayonnement et ses effets. Est-ce à dire qu’elle a entendu l’appel des opposants?
J’ai récemment demandé par écrit à Madame la conseillère fédérale de pouvoir participer à ce groupe pour donner mon point de vue et livrer mon expérience sur la question. J’attends sa réponse.
Concrètement, quels sont les effets néfastes des rayonnements et des ondes sur la santé des personnes?
Il s’agit de considérer également les animaux et les plantes, qui subissent aussi les effets néfastes des ondes électromagnétiques. L’environnement est toujours oublié dans cette affaire. Des milliers d’articles scientifiques font état d’effets délétères, et sont consultables sur des sites comme celui de l’Electronic Radiation Safety de l’Université de Berkeley aux Etats-Unis. Ces effets sont nombreux.
Mais plus précisément?
Je citerais les acouphènes, les pertes d’attention, les céphalées, des vertiges, des inflammations des yeux, la dépression, la tension nerveuse, une fatigue chronique ou les maladies infectieuses à répétition, etc. Des effets néfastes ont été constatés sur les oiseaux, les souris et les rats, les insectes (abeilles, fourmis, mouches) ainsi que des vers nématodes et des bactéries. En 2011, j’ai publié dans la revue scientifique Apidologie la preuve que la téléphonie mobile perturbait fortement le comportement des abeilles mellifères dans la ruche, en induisant le signal de l’essaimage. Cela pourrait expliquer des désertions subites de ruchers entiers, en un ou deux jours, surtout l’hiver.
A ce stade, ne s’agit-il pas seulement de dangers supposés?
Le principe de précaution doit s’appliquer. Les impacts sanitaires, tant sur la population que sur l’environnement, sont inconnus. Comme je l’ai déjà dit, le déploiement de la 5G revient à mener des expériences sur les êtres humains et l’environnement.
Les opérateurs prétendent que les antennes pour la 5G, plus petites que les tours 4G, diminueront au contraire les risques pour la santé.
Dans l’appel à l’ONU, il est dit: «Si les plans de l’industrie des télécommunications pour la 5G se concrétisent, pas un être humain, pas un mammifère, pas un oiseau, pas un insecte et pas un brin d’herbe sur terre, quel que soit le lieu de la planète où il se trouve, ne pourra se soustraire à une exposition, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, à des niveaux de rayonnement de radiofréquences qui sont des dizaines voire des centaines de fois supérieurs à ceux que l’on connaît aujourd’hui. Toutes les issues de secours seront barrées. Ces plans pour la 5G risquent d’avoir des effets graves et irréversibles sur les êtres humains et de causer des dommages permanents à tous les écosystèmes terrestres. Des mesures immédiates doivent être prises pour protéger l’humanité et l’environnement, conformément aux impératifs éthiques et aux conventions internationales.»
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se montre beaucoup plus nuancée. Selon elle, les ondes électromagnétiques sont des cancérogènes «possibles» mais pas prouvés. De son côté, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), en France, estime qu’il n’est pas fondé, sur une base sanitaire, de proposer de nouvelles valeurs limites d’exposition pour la population en général. Vous contestez?
Plutôt que de citer l’Anses, il vaut mieux s’appuyer sur les recommandations formulées en août 2016 par l’Académie européenne de médecine environnementale (Europaem) et les prendre très au sérieux. D’autre part, dans sa résolution 1815 du 27 mai 2011, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a clairement fait part de ses questionnements relatifs, entre autres, aux effets biologiques non thermiques potentiels plus ou moins nocifs sur les plantes, les insectes et les animaux, ainsi que sur l’organisme humain, même en cas d’exposition à des niveaux inférieurs aux seuils officiels.
Et qu’en est-il dans notre pays?
En Suisse, les normes émanent de l’ORNI – l’ordonnance sur la protection contre le rayonnement ionisant. Les valeurs limites ont été décidées peu avant l’année 2000, avant l’installation d’une pléthore d’antennes, de téléphonie mobile ou autres. Ces normes suisses ne tiennent malheureusement pas compte de l’exposition permanente aux rayonnements non ionisants.
Une vaste étude sur des animaux de laboratoire a été réalisée aux Etats-Unis à propos de la question du risque de cancer dû au rayonnement de la téléphonie mobile. Les résultats sont-ils tombés?
Oui. Il s’agit de l’étude NTP TR-595 publiée ce mois-ci, émanant du Programme national de toxicologie mis en route par le Département de la santé américain. Cette étude, qui a coûté plus de 25 millions de dollars et duré plus de dix ans, révèle que les radiations du téléphone cellulaire augmentent le taux du cancer chez les rats. Les rats exposés ont montré des taux plus élevés du gliome, une tumeur maligne des cellules gliales dans le cerveau, et du schwannome malin du cœur, une tumeur très rare. Des tumeurs des glandes surrénales ont également été observées. Il serait donc temps d’informer le public que les radiations du téléphone portable pourraient causer le cancer chez l’humain.
Le réseau de téléphonie mobile suisse est, semble-t-il, proche de la saturation. Ne risque-t-on pas, en refusant d’augmenter la puissance des antennes, de freiner le développement numérique de notre pays, et donc de pénaliser notre économie? Le déploiement seul de la 5G est un enjeu à plusieurs milliards…
Il faut avoir une vision globale de la situation. Nous sommes dans ce que le philosophe et écrivain Eric Sadin appelle la «silicolonisation» du monde. C’est la révolution des technologies numériques dans tous les domaines de l’existence. Cette fuite en avant technologique et ultralibérale ne repose que sur des impératifs économiques et matérialistes, au détriment de l’intégrité de la biosphère, donc de tous les êtres vivants. Cette évolution nous mène vers une servitude volontaire au détriment de l’intégrité humaine, et porte atteinte aux écosystèmes. Les milliards de la 5G? Oui, cela fera augmenter le PIB, au même titre que tous les dommages collatéraux potentiels (maladies, etc.) de ces technologies! Je me pose la question: ne sommes-nous pas en train d’assister à un processus massif d’extinction de la vie, en regard de la perte de la biodiversité, de l’effondrement d’écosystèmes, de la disparition d’espèces animales et végétales?
http://www.illustre.ch/magazine/deployer-5g-revient-mener-experiences-humains-nature
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