par Lucie Monnat, ABO+, 24 heures, 5 décembre 2017
Téléphonie : La nouvelle technologie est jugée comme indispensable à notre évolution numérique. Mais les obstacles à son introduction sont nombreux.
(Photo): Installation d’une antenne sur les toits d’un immeuble zurichois: ces antennes indisposent physiquement une partie de la population. Doit-on les condamner ou les remplacer par une autre technologie?Image: CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE
Début novembre, les sept Sages ont attribué des fréquences radio supplémentaires afin d’introduire la technologie 5G à l’horizon 2020, à l’instar des autres pays européens. Les trois grands opérateurs de Suisse – Swisscom, Salt et Sunrise – ne sont pas à la fête pour autant. La Suisse applique des valeurs limites dix fois plus sévères que dans l’Union européenne. Le quota de rayonnement non ionisant dans les régions urbaines est ainsi déjà épuisé sur plus de 90% des stations de base existantes. Impossible d’installer la 5G sur ces antennes déjà saturées.
Désactiver les anciennes technologies pour laisser la place aux nouvelles, comme cela a été fait pour la 4G (la 2G avait alors été mise hors service), se révélerait également insuffisant. «Aujourd’hui déjà, la demande en bande passante est exponentielle, explique le porte-parole de Swisscom, Christian Neuhaus. Sur notre réseau mobile, nous constatons d’année en année un doublement du trafic des données. D’ici à 2020, nous estimons que la Suisse comptera plus de 200 millions d’objets connectés, essentiellement par le réseau mobile. De nouvelles fréquences sont essentielles pour faire face à cette demande.»
Augmenter le nombre d’antennes ne représente pas non plus une solution satisfaisante, tant pour les défenseurs de l’environnement que pour l’économie: non seulement la mesure serait coûteuse, mais elle ralentirait fortement le processus.
Dans le doute, on s’abstient
La solution serait donc d’assouplir l’ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI). «Pour l’instant, la Suisse n’est pas encore en retard, vu que l’introduction de la 5G est prévue pour 2020, poursuit Christian Neuhaus. Mais il est clair qu’à terme, nous risquons d’être largués. Il faut qu’il y ait une discussion au niveau politique.» Elle a déjà été amorcée au parlement. L’an passé, le Conseil national, soutenu par le Conseil fédéral, a accepté une motion allant dans ce sens. Celle-ci a cependant été rejetée en décembre 2016 par le Conseil des États, à l’issue d’un débat animé. Le point de discorde? Les potentiels effets de l’augmentation des ondes sur notre santé. Une majorité de sénateurs ont tenu compte des préoccupations d’une partie de la population. Selon deux sondages menés par l’OFS en 2011 et en 2015, la méfiance face aux ondes est partagée par près de la moitié des Suisses. Quant à savoir si cette crainte est fondée ou non, la réponse n’est pas arrêtée (lire encadré).
Dans le doute, on s’abstient, a donc estimé la Chambre des cantons, au grand dam du PLR. «Cette ordonnance est une grande erreur. À l’heure actuelle, la Suisse n’a aucune chance d’accueillir la 5G, déplore Christian Wasserfallen (PLR/BE). Aucune étude internationale n’a établi ce danger pour la santé. Actuellement, les valeurs de l’ORNI sont à 5 volts par mètre. L’OMS recommande un maximum de 50. Si l’on augmentait à 30, nous serions encore bien loin de ces recommandations.» Pour le conseiller national, ces restrictions entraînent une situation paradoxale: «Plus le réseau est faible, plus le rayonnement émis par le portable est fort et plus les ondes qui passent par la tête sont importantes. Ce n’est pas de la politique, c’est de la physique!»
Oliver Francais (PLR/VD) se situe un peu en porte-à-faux de son parti sur cette question. «C’est vrai, il n’y a pas de base scientifique, mais on arrive à suivre les effets des ondes. Que la petite antenne sur mon portable produise des fréquences qui passent par mon cerveau est un fait avéré», souligne le conseiller aux États, qui évoque également des connaissances souffrant d’électrosensibilité. «Il existe des personnes plus sensibles que d’autres, dont le corps élimine moins facilement que d’autres ces expositions.»
Solutions alternatives?
Olivier Français reconnaît l’importance et le caractère inéluctable de l’évolution de la technologie. «C’est fondamental. Mais il tient aussi de la responsabilité des opérateurs de trouver des solutions alternatives. On peut très bien augmenter les normes maintenant, mais avec l’évolution et l’augmentation des échanges de données, il est fort à parier que le même problème se posera plus tard.»
Un avis partagé par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), qui met pour sa part en avant l’exemple de la ville de Saint-Gall et sa connexion Internet sans fil (WLAN), mise gratuitement à disposition du public. La Municipalité a installé en 2012 quarante antennes WLAN au centre-ville. La portée de celles-ci est plus faible que les antennes de téléphonie mobile – il en faut donc plus pour parvenir à la même efficacité – mais leur rayonnement est sensiblement inférieur. Ainsi, malgré la forte augmentation du volume de données depuis le lancement du projet, le rayonnement a diminué d’environ un quart. En cas d’épuisement des capacités, un émetteur WLAN supplémentaire peut tout simplement être ajouté. Comme la puissance de ces antennes est inférieure à 0,1 watt, il ne faut ni permis de construire ni autorisation d’exploitation. Selon les conducteurs du projet, à long terme la téléphonie via Internet pourrait se développer grâce à ces antennes. Les grandes agglomérations pourraient ainsi supprimer, à moyen terme, bon nombre de grandes antennes à rayonnement intensif. (24 heures)
De grands espoirs reposent sur la 5G, identifiée comme une véritable révolution
Révolutionnaire! De grandes attentes reposent sur la 5G. «La technologie 5G permet d’une part des vitesses de transmission beaucoup plus élevées que tout ce que nous connaissons aujourd’hui, mais également des temps de latence très faibles», explique le porte-parole de Swisscom, Christian Neuhaus. On parle par exemple de débits quatre fois supérieurs à la 4G et de temps de latence inférieurs à une milliseconde.
«La 5G permettra ainsi l’émergence de nouvelles applications dans l’industrie, la fabrication, la mobilité, la logistique, l’agriculture, la santé ou l’énergie», poursuit Christian Neuhaus. Aujourd’hui, le temps de latence de la 4G se situe à environ une demi-seconde. Cela semble peu, mais c’est déjà trop pour le contrôle des voitures autonomes, par exemple.
Une telle rapidité permettra ainsi l’ère de l’Internet des objets, soit des drones, des maisons connectées, de la réalité augmentée et virtuelle, des systèmes de détection incendie, d’alerte des chutes ou encore de régulation du trafic en cas d’accident. Bref, de quoi répondre aux exigences de notre futur.
D’ici à 2030, les spécialistes prédisent des centaines de milliards d’objets connectés dans le monde. La 5G devrait être non seulement capable de prendre en charge ces attentes démesurées, mais également plus économe en énergie. Elle devrait permettre à certains appareils une autonomie dix fois supérieure. Certains objets pourront donc durer sans être rechargés plusieurs jours, voire plusieurs années pour les plus économes (par exemple des détecteurs de feu de forêt).
En Europe, la 5G devrait faire son apparition en 2020. Mais la Corée du Sud espère bien faire sensation en la rendant disponible lors des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, en février 2018.
Incertitude scientifique
Les impacts des ondes sur la santé sont source de peur. Mais, pour l’heure, les avis des milieux scientifiques divergent sur leur ampleur réelle. Pour les Médecins de l’environnement (MfE), «il existe de plus en plus de données claires montrant que la téléphonie mobile constitue un risque sanitaire». Se basant sur plusieurs études, l’association évoque un risque de cancer et de tumeurs cardiaques et cérébrales lors d’une utilisation intensive. La Fédération des médecins suisses (FMH) souhaite pour sa part attendre la publication des études de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à ce sujet avant toute prise de décision sur la question. «La FMH encourage la mise en place d’un système de surveillance des rayons non ionisants et l’analyse des résultats des recherches pour étudier l’impact du rayonnement non ionisant sur la santé», ajoute son président, Jürg Schlup.
Un rapport du Conseil fédéral sur l’avenir des réseaux mobiles en Suisse établi en 2015 souligne que «le réchauffement des tissus de l’organisme est le seul effet nocif sur l’être humain dû au rayonnement de la téléphonie mobile prouvé scientifiquement». Il existe des preuves d’un effet sur les flux cérébraux ainsi que «quelques indices» d’une influence sur l’irrigation du cerveau, d’un effet nocif sur la qualité du sperme, ou encore sur la mort programmée des cellules. «On ne sait pas quelles sont les éventuelles conséquences sur la santé, ni s’il existe des valeurs seuils en termes d’intensité et de durée du rayonnement», ajoute le rapport. Afin de tirer au clair cette question, le gouvernement propose de lancer un monitoring sur l’exposition de la population aux rayonnements. Pour l’instant, les financements nécessaires n’ont pas été trouvés. L’OMS devrait quant à elle publier de nouveaux rapports courant 2018.
https://www.24heures.ch/suisse/5g-risque-arriver-retard-suisse/story/25809787
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