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29 janv. 2018

La Suisse est démunie contre l’obsolescence programmée

La Suisse est démunie contre l’obsolescence programmée
par Anouch Seydtaghia, Le Temps, 14 janvier 2018

L’affaire des iPhone ralentis volontairement par Apple a donné lieu à des actions en justice en France et aux Etats-Unis. En Suisse, aucune loi ne permet de lutter contre l’obsolescence programmée. 

Apple n’est pas la seule société incriminée

Un vent de révolte se lève contre l’obsolescence programmée. Depuis quelques jours, les actions se multiplient contre les géants de la technologie, accusés de forcer les consommateurs à jeter leurs appareils pour en racheter de nouveaux. Il y a bien sûr l’affaire Apple, la société admettant qu’elle dégrade les performances de certains iPhone. Il y a le cas Epson, accusé de tromper les consommateurs sur les niveaux d’encre de ses cartouches d’impression. Mais il y a aussi Samsung, fustigé pour ses smartphones quasiment impossibles à réparer.



Ce souffle de contestation est sans surprise né aux Etats-Unis, grâce à la possibilité, pour les particuliers, de lancer des class actions,plaintes collectives qui ont beaucoup de poids en justice. Cette semaine, le site spécialisé 9to5mac.com en dénombrait pas moins de trente contre Apple. Après la publication de tests indépendants, la société californienne passait aux aveux le 20 décembre: oui, elle a volontairement diminué les performances des iPhone 6S et 7. Pas pour forcer les consommateurs à racheter de nouveaux iPhone. Mais pour prolonger la durée de vie de leur batterie, affirmait la société.

Action en justice en France

Accusé d’abus de confiance aux Etats-Unis, Apple est désormais sous enquête en France pour «obsolescence programmée» et «tromperie». La semaine passée, le parquet de Paris commençait son instruction à la suite de la plainte de l’association Halte à l’obsolescence programmée (Hop), qui affirme avoir récolté plus de 2600 témoignages de clients Apple lésés qui se sont manifestés auprès d’elle.

En Suisse, comment les consommateurs peuvent-ils se défendre? «Les Français ont la chance d’avoir, depuis 2015, une loi interdisant l’obsolescence programmée. Hélas, rien de tout cela n’existe en Suisse. Nous avions fait pression, avec d’autres associations de défense des consommateurs, pour que le Conseil fédéral légifère à ce sujet. Mais il a jusqu’à présent préféré ne rien faire, arguant qu’il était de toute façon très difficile de définir la durée de vie d’un objet», regrette Sophie Michaud Gigon, secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs (FRC).

Garantie de cinq ans exigée

Zeynep Ersan Berdoz, directrice et rédactrice en chef de Bon à savoir, exige aussi des mesures. «Nous demandons que la question de l’obsolescence soit juridiquement réglée, comme c’est le cas en France. Par ailleurs, la durée de la garantie légale devrait être prolongée de deux à cinq ans, également comme chez nos voisins.» Peut-on imaginer, comme dans le cas de VW et des plaintes concernant l’affaire des chiffres truqués des émissions polluantes du diesel, une action collective en Suisse? «Sans action collective inscrite dans la loi, c’est extrêmement compliqué, affirme Sophie Michaud Gigon. Dans l’affaire VW, un financement et une coordination externes des plus de 2000 plaintes de particuliers provenant de Suisse ont été nécessaires pour mener à bien cette action clés en main de grande envergure contre le constructeur allemand.»

En se basant sur la loi contre la concurrence déloyale, la FRC a la qualité pour déposer plainte. Mais dans l’affaire Apple, il y a encore des paramètres à analyser. «Le fait qu’il n’y ait pas d’antenne de la société en Suisse complique notre action. Nous avons sollicité notre partenaire européen, le Bureau européen des unions de consommateurs, pour savoir ce qui peut être entrepris à plus large échelle», indique Sophie Michaud Gigon.

Intérêts commerciaux

Le cas est complexe. Apple jure que la dégradation des performances de ses iPhone était pour le bien des consommateurs. «Cet argument n’est pas recevable, affirme Ralf Beyeler, spécialiste télécoms chez Moneyland. La société dit qu’elle n’a jamais voulu forcer les clients à racheter un iPhone. Mais je pense que des intérêts commerciaux ont joué lors de l’introduction de cette fonction de gestion de la puissance du téléphone. Cela n’a sans doute pas été la raison principale de son interdiction, mais je pense que le fait que cela augmente potentiellement les ventes a dû jouer un rôle pour Apple.»

Lire aussi: «Le comportement des consommateurs est aussi en cause»

La société aurait dû agir bien différemment, selon Zeynep Ersan Berdoz. «Apple aurait dû jouer la carte de la transparence dès le début et prévoir un bouton permettant d’activer manuellement un mode «bridage de puissance», et non l’imposer de façon cachée comme il l’a fait. Laisser le choix aux consommateurs est toujours une bien meilleure option.» A noter qu’Apple a ensuite fait un geste commercial, réduisant de 89 à 29 francs le coût du changement d’une batterie d’iPhone, une promotion qui sera a priori valable jusqu’à fin 2018. «C’est un comble que la solution soit payante alors que le consommateur accuse déjà une baisse de qualité de son appareil, s’indigne Sophie Michaud Gigon. Nous écrirons à Apple pour nous enquérir de la raison pour laquelle ces appareils sont toujours en vente sans que les consommateurs soient informés en magasin de la perte de leur qualité, donc de leur valeur.»

Cette annonce a permis de mettre en lumière le fait que changer la batterie de son iPhone est tout de même possible, mais par des experts. Et il est utile de rappeler que comme Apple, Samsung empêche, sur ses smartphones haut de gamme, ses clients de changer eux-mêmes la batterie.

Samsung et Microsoft accusés

Apple est souvent montré du doigt. Mais il n’est en réalité pas le seul soupçonné d’obsolescence programmée. L’été dernier, Greenpeace accusait ainsi Samsung et Microsoft de telles pratiques. Les smartphones Galaxy S7, S7 Edge et S8 étaient très mal notés, car ils étaient presque impossibles à réparer. De même pour la tablette Surface Pro 5 et l’ordinateur portable Surface Book de Microsoft, composés de tellement d’éléments collés qu’ouvrir le châssis équivalait à détruire ces appareils. Ralf Beyeler indique que la liste des coupables est large: «Les consommateurs doivent savoir que l’installation de nouvelles applications sur un smartphone augmente sa consommation d’énergie. Et il est souvent efficace de supprimer certaines applications gourmandes en ressources que Samsung pré-installe sur ses appareils. Cela prend du temps, mais cela en vaut la peine.»

https://www.letemps.ch/economie/2018/01/14/suisse-demunie-contre-lobsolescence-programmee

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