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27 nov. 2021

Addiction aux écrans au Japon

Addiction aux écrans au Japon
par Bernard Delattre, Tokyo, Tribune de Genève, 27 nov 2021

«J’étais si accro au gaming que je ne mangeais plus»

Le nombre de jeunes Japonais dangereusement dépendants des jeux vidéo s’est envolé pendant la pandémie. Certains doivent être hospitalisés. Ils sont aussi toujours plus nombreux à loucher.

(Photo) : Un jeune japonais sur cinq consacre jusqu’à six heures par jour aux jeux vidéo en ligne sur les réseaux sociaux. Ici, des panneaux interdisent l’usage des smartphones aux piétons dans la ville de Yamato.  AFP


Kei estime n’avoir «pas survécu au coronavirus». «Je suis vivant physiquement, oui, mais le Covid m’a tué mentalement: il m’a rendu fou», confie-t-il, les yeux baissés. L’an dernier, ce jeune homme de 19 ans originaire d’une région rurale est monté à Tokyo pour étudier à l’université. Mais tous les cours en présentiel ont été suspendus en raison de l'état d'urgence. «Confiné dans mon studio de 7m2, je me suis senti seul au monde. Je ne connaissais personne dans cette ville à qui j’aurais pu me confier», témoigne-t-il.

Kei a fini par «fuir dans une réalité parallèle»: celle des jeux vidéo, à longueur de journées et de nuits. «Mais même dans ce métavers, comme on dit maintenant, mon avatar a été terrassé par le Covid. Car j’ai vite compris qu’à la fois ma vie virtuelle et ma vraie vie de solitude et de stress n’avaient aucun sens. Il valait donc mieux en finir.» Après deux tentatives de suicide, le jeune homme a été interné. Son sevrage numérique a duré plus de six mois.

Selon une étude récente, le nombre d’addictions sévères aux jeux vidéo a quasiment doublé au Japon depuis l’apparition du virus. Quelque 7,5 millions de personnes en seraient victimes. Cela a été le cas de Yusuke, 17 ans. Il y a un an, il a été hospitalisé alors qu’il ne pesait que quarante kilos, soit vingt de moins que six mois plus tôt. «J’étais si accro au gaming que j’en étais arrivé à ne quasiment plus manger afin de ne pas devoir interrompre mes parties pour aller aux toilettes, explique-t-il. Jouer était plus fort que moi. Quand j’arrêtais, j’avais la sensation de mourir.»

Du botox injecté dans les yeux

Les jeunes Japonais sont les plus grands utilisateurs au monde des messageries gratuites instantanées ainsi que des jeux vidéo en ligne sur les réseaux sociaux. Un sur cinq consacre jusqu’à six heures par jour à cette passion. «Quand on se voit entre copains, on se parle, on rigole, mais, en fait, on ne se regarde jamais car chacun pianote sans arrêt sur son téléphone», explique un adolescent, hilare. Dorénavant, tout âge confondus, plus de 13,5 millions de Japonais ont un rapport au numérique jugé «problématique» pour leur santé ou leur vie sociale. Sept sondés sur dix reconnaissent d’ailleurs être trop dépendants de leur téléphone.

Au Japon, les écrans s’immiscent dans la vie dès le plus jeune âge. Un bébé sur cinq âgé de moins d’un an utilise déjà quotidiennement un smartphone et 60% des moins de trois ans surfent sur internet. Les ophtalmologues y voient la cause de l’envolée du nombre de jeunes qui ont de gros problèmes de vue. C’est le cas de 40% des moins de douze ans et de 60% des plus de seize ans.

Les pédiatres s’alarment particulièrement d’une forme de strabisme convergent aigu qui se répand chez les enfants et est due au fait qu’ils passent trop d’heures par jour rivés à leur smartphone. Ce problème a pris une telle ampleur que la sécurité sociale nippone rembourse désormais les injections de botox dans les muscles oculaires des enfants, ce qui atténue leur strabisme. Satoshi, 12 ans, a subi un tel traitement, lui qui passait «huit à dix heures par jour» sur son smartphone ou sa console de jeux. «À la fin de la journée, je voyais tout en double et j’avais des vertiges, voire des nausées», se souvient-il. «Le Japon est en train de devenir un pays de loucheurs!» s’est effaré dernièrement, en une, le grand quotidien populaire «Gendai»…

Centre de sevrage débordé

Ces deux dernières années, des communes ou des préfectures ont voté des ordonnances limitant le nombre d’heures d’écran autorisées chaque jour aux enfants. Mais les contrôles policiers n’étant pas possibles dans les foyers, ces textes ont une portée purement symbolique. Du reste, la plupart des parents jugent que les autorités n’ont pas à se mêler d’un problème qui, selon eux, doit se gérer en famille.

Mais au quotidien, cela s’avère souvent ardu. Nombre d’opérateurs nippons de téléphonie mobile commercialisent un service qui permet aux parents de bloquer à distance le smartphone de leurs enfants quand ils atteignent le quota d’heures d’utilisation qui leur est permis. Le dispositif, qui fait fureur auprès des parents, tend le climat dans les familles. «Quand je coupe le smartphone de mon garçon de 18 ans, il devient fou», témoigne une mère célibataire. «Il est si en colère que je n’exclus pas qu’un jour, il en vienne à me frapper…»

Au Japon, malheureusement, les centres médicaux spécialisés dans la prise en charge des addictions aux écrans sont peu nombreux et les thérapies de sevrage sont longues. Les listes d’attente sont donc interminables. La dernière fois que quelques chambres se sont libérées dans le centre le plus réputé du pays, qui soigne 2000 jeunes par an, il a reçu en moins de deux heures plus de 300 appels téléphoniques de parents suppliant qu’on y hospitalise leur adolescent.

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