(Département du Val-de-Marne/flickr/CC) |
par Simon Barthélémy, Journaliste, rédacteur en chef de Rue89 Bordeaux, 30 aoüt 2016
Alors qu’en cette rentrée 2016 s’accélère le déploiement du « plan numérique » dans les collèges, deux auteurs bordelais, Karine Mauvilly et Philippe Bihouix, dénoncent dans un livre le « désastre » pédagogique, écologique et même social de l’école numérique. Entretien.
Dans une école Steiner de Californie, sans écran ni connexion internet, où les enfants bricolent et font du jardinage, se retrouvent une majorité d’enfants de cadre de la Silicon Valley. L’histoire, qui avait beaucoup amusée la presse, est reprise dans « Le désastre de l’école numérique », et fait sens pour les deux auteurs bordelais de ce livre, qui vient de paraitre aux éditions du Seuil.
Alors qu’en France, le gouvernement veut équiper l’ensemble des collégiens de tablettes numériques, les geeks les plus fortunés offrent d’autres formes d’enseignement et d’épanouissement à leurs rejetons, souligne Karine Mauvilly, journaliste, puis enseignante et mère de trois enfants. D’après Philippe Bihouix, ingénieur centralien, auteur de L’âge des low-tech (Seuil, 2014), la fracture numérique n’est peut-être pas celle que l’on croit…
Rue89 Bordeaux : « Le désastre de l’école numérique » est-il né de vos expériences personnelles avec l’éducation nationale ?
Karine Mauvilly : Après une carrière dans le journalisme, j’ai décidé d’être professeur d’histoire géographie. J’ai enseigné pendant deux ans, puis j’ai donné ma démission de l’Éducation nationale et préféré témoigner contre cette dérive qui recouvre trois aspects : la numérisation globale de la vie des profs, de celle des élèves et de la relation des parents avec l’école. D’abord, pour des actions simples comme faire l’appel, les profs doivent ouvrir un ordinateur et un logiciel, et verser au passage des royalties à la Silicon Valley. Ensuite, l’objet du plan numérique de François Hollande, c’est de proposer toujours plus d’écran aux élèves, en équipant tous les collégiens en tablettes d’ici 2018. Enfin, les parents doivent de plus en plus se connecter aux environnements numériques de travail (ENT) pour contrôler le travail de leurs enfants, ou échanger avec l’école. Mais plus on numérise les relations, moins les gens se parlent.
Philippe Bihouix : Les premières sollicitations numériques arrivent dès le primaire, on demande aux enfants de faire un peu de recherches sur internet. Quand on demande pourquoi, on nous répond que c’est pour les préparer, sinon ils ne sauront pas le faire au collège. C’est une intention louable bien sûr, mais avec un tel raisonnement on peut aussi leur donner une tablette en même temps que le biberon !
En grandissant, les enfants nous sollicitent pour avoir plus écrans, et ce sont des négociations permanentes pour limiter leur place à la maison. Est-ce le rôle de l’école de les pousser dans cette direction ? Quand nous avons initié nos échanges avec Karine, il est très vite apparu que le numérique est un enjeu pédagogique énorme, et que les arguments utilisés pour son déploiement à l’école sont ultra fragiles, voire de mauvaise foi.
Vous citez par exemple dans le livre des données de l’enquête PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves), menée sous les trois ans par l’OCDE, le club des pays les plus développés de la planète. Quelles sont ses conclusions ?
K.M. : L’enquête PISA est très suivie par nos dirigeants politiques, dans le but de gagner des places à chaque classement, tous les trois ans. En 2015, l’OCDE a exploité des données pour comparer la numérisation des systèmes scolaires et les performances des élèves. Or il apparaît que ces derniers ont des résultats moins bons en compréhension de l’écrit et en mathématiques dans les systèmes éducatifs qui utilisent davantage les nouvelles technologies que la moyenne des pays de l’OCDE. De façon surprenante pourtant, l’OCDE, malgré son propre diagnostic, invite à numériser encore plus les systèmes scolaires ! Nous sommes dans l’incantatoire.
Dans une école Steiner de Californie, sans écran ni connexion internet, où les enfants bricolent et font du jardinage, se retrouvent une majorité d’enfants de cadre de la Silicon Valley. L’histoire, qui avait beaucoup amusée la presse, est reprise dans « Le désastre de l’école numérique », et fait sens pour les deux auteurs bordelais de ce livre, qui vient de paraitre aux éditions du Seuil.
Alors qu’en France, le gouvernement veut équiper l’ensemble des collégiens de tablettes numériques, les geeks les plus fortunés offrent d’autres formes d’enseignement et d’épanouissement à leurs rejetons, souligne Karine Mauvilly, journaliste, puis enseignante et mère de trois enfants. D’après Philippe Bihouix, ingénieur centralien, auteur de L’âge des low-tech (Seuil, 2014), la fracture numérique n’est peut-être pas celle que l’on croit…
Rue89 Bordeaux : « Le désastre de l’école numérique » est-il né de vos expériences personnelles avec l’éducation nationale ?
Karine Mauvilly : Après une carrière dans le journalisme, j’ai décidé d’être professeur d’histoire géographie. J’ai enseigné pendant deux ans, puis j’ai donné ma démission de l’Éducation nationale et préféré témoigner contre cette dérive qui recouvre trois aspects : la numérisation globale de la vie des profs, de celle des élèves et de la relation des parents avec l’école. D’abord, pour des actions simples comme faire l’appel, les profs doivent ouvrir un ordinateur et un logiciel, et verser au passage des royalties à la Silicon Valley. Ensuite, l’objet du plan numérique de François Hollande, c’est de proposer toujours plus d’écran aux élèves, en équipant tous les collégiens en tablettes d’ici 2018. Enfin, les parents doivent de plus en plus se connecter aux environnements numériques de travail (ENT) pour contrôler le travail de leurs enfants, ou échanger avec l’école. Mais plus on numérise les relations, moins les gens se parlent.
Philippe Bihouix : Les premières sollicitations numériques arrivent dès le primaire, on demande aux enfants de faire un peu de recherches sur internet. Quand on demande pourquoi, on nous répond que c’est pour les préparer, sinon ils ne sauront pas le faire au collège. C’est une intention louable bien sûr, mais avec un tel raisonnement on peut aussi leur donner une tablette en même temps que le biberon !
En grandissant, les enfants nous sollicitent pour avoir plus écrans, et ce sont des négociations permanentes pour limiter leur place à la maison. Est-ce le rôle de l’école de les pousser dans cette direction ? Quand nous avons initié nos échanges avec Karine, il est très vite apparu que le numérique est un enjeu pédagogique énorme, et que les arguments utilisés pour son déploiement à l’école sont ultra fragiles, voire de mauvaise foi.
Vous citez par exemple dans le livre des données de l’enquête PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves), menée sous les trois ans par l’OCDE, le club des pays les plus développés de la planète. Quelles sont ses conclusions ?
K.M. : L’enquête PISA est très suivie par nos dirigeants politiques, dans le but de gagner des places à chaque classement, tous les trois ans. En 2015, l’OCDE a exploité des données pour comparer la numérisation des systèmes scolaires et les performances des élèves. Or il apparaît que ces derniers ont des résultats moins bons en compréhension de l’écrit et en mathématiques dans les systèmes éducatifs qui utilisent davantage les nouvelles technologies que la moyenne des pays de l’OCDE. De façon surprenante pourtant, l’OCDE, malgré son propre diagnostic, invite à numériser encore plus les systèmes scolaires ! Nous sommes dans l’incantatoire.
Myopie
Vous pointez aussi les effets sanitaires possibles du numérique, qui font cependant débat…
P.B. : Dans un rapport de juillet 2016 sur l’exposition des enfants aux radiofréquences, l’Anses (agence de sécurité sanitaire de l’environnement) va très loin en mentionnant que l’exposition au téléphone portable pose des problèmes cognitifs chez les jeunes, sans que l’on sache encore si c’est lié aux électrofréquences ou à la pratique elle-même. Elle recommande en tous cas un usage modéré et encadré, ce qui est assez inquiétant… Mais en même temps, l’Académie des Sciences dit que « l’école élémentaire est le meilleur lieu pour engager l’éducation systématique aux écrans » et certains défendent même des expérimentations en maternelle !
K.M. : Il faut préciser que le plan Hollande ne prévoit pas du numérique filaire mais bien en wifi, on a aujourd’hui plus d’inquiétudes que de certitudes sur les électrofréquences, classées comme cancérogène possible par l’OMS (organisation mondiale de la santé). On ne crie pas à la dangerosité, on demande simplement que s’applique le principe de précaution. Le législateur a commencé à le faire avec la « loi Abeille » (du nom de Laurence Abeille, députée EELV), qui bannit le wifi dans les crèches.
Par ailleurs, beaucoup d’études sanitaires font la corrélation entre le temps passé devant l’écran et l’évolution de la myopie, une vraie épidémie dans les pays riches, liée aux efforts demandés aux yeux et au fait de rester à l’intérieur.
Enfin, au niveau du collège, on peut pointer un risque d’addiction aux écrans, les enfants ayant en moyenne leur premier portable vers 11 ans, une addiction qui va davantage concerner les jeux en ligne chez les garçons, et les réseaux sociaux chez les filles. Les 16-24 ans passeraient ainsi déjà 7h54 devant des écrans (ordinateur, Smartphone, télé…), l’école doit offrir un temps de déconnexion.
Vous pointez aussi les effets sanitaires possibles du numérique, qui font cependant débat…
P.B. : Dans un rapport de juillet 2016 sur l’exposition des enfants aux radiofréquences, l’Anses (agence de sécurité sanitaire de l’environnement) va très loin en mentionnant que l’exposition au téléphone portable pose des problèmes cognitifs chez les jeunes, sans que l’on sache encore si c’est lié aux électrofréquences ou à la pratique elle-même. Elle recommande en tous cas un usage modéré et encadré, ce qui est assez inquiétant… Mais en même temps, l’Académie des Sciences dit que « l’école élémentaire est le meilleur lieu pour engager l’éducation systématique aux écrans » et certains défendent même des expérimentations en maternelle !
K.M. : Il faut préciser que le plan Hollande ne prévoit pas du numérique filaire mais bien en wifi, on a aujourd’hui plus d’inquiétudes que de certitudes sur les électrofréquences, classées comme cancérogène possible par l’OMS (organisation mondiale de la santé). On ne crie pas à la dangerosité, on demande simplement que s’applique le principe de précaution. Le législateur a commencé à le faire avec la « loi Abeille » (du nom de Laurence Abeille, députée EELV), qui bannit le wifi dans les crèches.
Par ailleurs, beaucoup d’études sanitaires font la corrélation entre le temps passé devant l’écran et l’évolution de la myopie, une vraie épidémie dans les pays riches, liée aux efforts demandés aux yeux et au fait de rester à l’intérieur.
Enfin, au niveau du collège, on peut pointer un risque d’addiction aux écrans, les enfants ayant en moyenne leur premier portable vers 11 ans, une addiction qui va davantage concerner les jeux en ligne chez les garçons, et les réseaux sociaux chez les filles. Les 16-24 ans passeraient ainsi déjà 7h54 devant des écrans (ordinateur, Smartphone, télé…), l’école doit offrir un temps de déconnexion.
Effets d’annonce
Quelle est aujourd’hui l’ampleur de la numérisation de l’école en France ?
Continuer à lire :
http://rue89bordeaux.com/2016/08/ecole-numerique-creuse-les-inegalites/
Quelle est aujourd’hui l’ampleur de la numérisation de l’école en France ?
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http://rue89bordeaux.com/2016/08/ecole-numerique-creuse-les-inegalites/
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