Par Geneviève Comby, ABO+, Tribune de Genève, 27 mai 2019
Une étude montre des rongeurs exposés directement à l’herbicide indemnes, alors que leurs petits et les petits de ces derniers ont des séquelles.
Entretien avec Ariane Giacobino, médecin et chercheuse à l’Université de Genève, spécialiste de l’épigénétique
Auteur de l’étude, Michael Skinner est un des premiers scientifiques à avoir décrit les effets de certaines substances présentes dans l’environnement sur plusieurs générations.
«Ça lui a d’ailleurs valu beaucoup d’attaques et de commentaires», relève Ariane Giacobino, médecin et chercheuse à l’Université de Genève, spécialiste de l’épigénétique. Son équipe a déjà eu l’occasion, par le passé, de répliquer certaines expériences du biologiste américain sur les pesticides, et de confirmer ses résultats.
Face à la perplexité que peut faire naître l’idée que des facteurs environnementaux produisent des effets délétères qui «traversent» des générations, elle tranche: «Oui, ces effets sont possibles, nous avons pu en observer dans le cadre de nos travaux aussi.»
La spécialiste genevoise estime que l’étude américaine est solide. «Il ne s’agit pas d’une étude de toxicologie classique dans laquelle on augmente petit à petit la dose d’une molécule pour voir si les effets augmentent proportionnellement. Ici, on part de l’hypothèse selon laquelle le glyphosate produit des effets transgénérationnels.
Dans ce contexte, la méthode utilisée est tout à fait valable. Elle s’appuie sur les techniques les plus récentes. On pourrait critiquer l’utilisation d’une injection intrapéritonéale qui rend problématique une extrapolation à l’être humain et à la manière dont il peut être exposé au glyphosate. En même temps, c’est une façon fiable de contrôler un dosage.»
Autre bémol, selon elle: si les maladies des deuxième et troisième générations de rats collent avec les différentes régions du génome où des altérations ont été observées, aucun gène spécifique n’a, pour l’heure, pu être ciblé.
Pour Ariane Giacobino, cette étude inédite est un «bon travail de défrichage», qui mérite d’être approfondi. «Mais elle montre toutefois très bien que le glyphosate abîme de manière transgénérationnelle. C’est donc un signal d’alarme à prendre au sérieux.»
https://www.tdg.ch/dossiers/geneve/effets-glyphosate-sautent-generations/story/17469112
Le glyphosate reste l'herbicide le plus utilisé; ou en trouve des traces les sols, les eaus, l'air ainsi que dans de nombreux produits alimentaires. Image: Maravic/Getty Images |
La controverse autour du glyphosate est toujours vive. Les tentatives pour promouvoir une interdiction de cet herbicide n’ont, pour l’instant, abouti ni en Europe, ni en Suisse. Considéré comme «cancérogène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer, il ne présenterait pas plus de danger que ça selon l’Agence européenne de sécurité des aliments, l’EFSA. Ce qui est certain, c’est que le glyphosate reste le pesticide le plus largement utilisé et qu’on en trouve des traces dans les sols, les eaux, l’air, dans de nombreux produits alimentaires et jusque dans notre urine.
Alors, les doses de glyphosate auxquelles nous sommes exposés sont-elles trop faibles pour nous inquiéter? De récents tests en laboratoire laissent songeur. Car si à petite dose le glyphosate n’a peut-être pas d’effets toxiques directs observables, il pourrait favoriser des problèmes de santé sur les générations futures. C’est en tout cas ce que suggèrent des expériences menées sur des rats par le biologiste américain Michael Skinner, de l’Université de Washington, dont les résultats ont été publiés dans la revue «Scientific Reports».
Des tests sur quatre générations de rongeurs
Dans un premier temps, des rats femelles, portantes, appelons-les «génération 0», ont été exposées à du glyphosate durant les semaines 8 à 14 de leur gestation. La dose administrée était de 25 mg par kilo de poids et par jour, ce qui correspond à la moitié de ce que les spécialistes appellent DSENO, soit la «dose maximale sans effets nocifs observés». Une dose à laquelle on n’est normalement pas exposé dans la vie courante, c’est vrai, mais une dose qui ne devrait pas avoir d’effets sur la santé. Ce fut le cas pour les rates de la génération 0, de même que pour leurs petits (la génération 1), admet Michael Skinner: «Nous n’avons pas trouvé d’effets toxiques liés à cette exposition directe à cette dose-là, et en cela, nos résultats coïncident avec les positions des industriels et les études qui concluent au fait que le glyphosate est faiblement toxique.»
Pour les deux générations suivantes, c’est une autre affaire. Chez elles, Michael Skinner a observé une «augmentation spectaculaire» de toute une série de maladies. Une hausse des cancers des reins, mais aussi des pathologies testiculaires, ovariennes, des tumeurs des glandes mammaires et des problèmes lors de la gestation et de la mise bas chez les femelles portantes, ainsi qu’une augmentation générale de l’obésité. Ce type d’effets «transgénérationnels» n’est pas une surprise totale pour le scientifique américain et son équipe, qui en avaient déjà observé avec d’autres substances potentiellement toxiques, notamment un autre herbicide, l’atrazine, interdit en Europe en 2003 et en Suisse en 2012.
Effets à «retardement»
Comment expliquer ces effets «à retardement»? Si les cellules du corps sont épargnées par une exposition à un produit potentiellement toxique, ce n’est pas forcément le cas des cellules dites germinales, à l’origine des spermatozoïdes et des ovocytes. L’effet transgénérationnel commence par des changements épigénétiques sur ces cellules germinales, qui vont ainsi se transmettre plus loin. Les altérations dites épigénétiques ne constituent pas en soi une modification des gènes, mais plutôt de la manière dont ceux-ci s’expriment. Ces modifications devraient normalement être effacées entre chaque génération et les compteurs remis à zéro, en quelque sorte. Mais il arrive, comme dans le cas de cette expérience sur le glyphosate, que le processus soit entravé et conduise à une augmentation du risque de développer certaines maladies. «L’effet d’une exposition directe de la génération 1 reprogramme les générations suivantes», résume Michael Skinner, qui a constaté, sur ces générations, des altérations dans l’ADN du sperme, pouvant, selon lui, être liées à l’expression d’un certain nombre de maladies.
Ses conclusions sont-elles pour autant transposables à l’être humain? Le glyphosate a été administré aux rongeurs par injection intrapéritonéale, qui permet, comme le rappelle le scientifique, un contrôle précis du dosage, mais ne correspond évidemment pas à une exposition en dehors d’un laboratoire. Ce qui n’empêche pas Michael Skinner de tirer un parallèle entre le boom du glyphosate ces dernières décennies et l’évolution de l’épidémie mondiale d’obésité. Surtout, le scientifique milite pour que ces effets indirects, cette «toxicité générationnelle», soient à l’avenir pris en compte dans l’évaluation des risques d’une substance comme le glyphosate. «Si la menace affecte nos arrière-petits-enfants, il faut la prendre en compte, en tout cas je l’espère», conclut-il. (TDG)
«Un signal d’alarme à prendre au sérieux»
Alors, les doses de glyphosate auxquelles nous sommes exposés sont-elles trop faibles pour nous inquiéter? De récents tests en laboratoire laissent songeur. Car si à petite dose le glyphosate n’a peut-être pas d’effets toxiques directs observables, il pourrait favoriser des problèmes de santé sur les générations futures. C’est en tout cas ce que suggèrent des expériences menées sur des rats par le biologiste américain Michael Skinner, de l’Université de Washington, dont les résultats ont été publiés dans la revue «Scientific Reports».
Des tests sur quatre générations de rongeurs
Dans un premier temps, des rats femelles, portantes, appelons-les «génération 0», ont été exposées à du glyphosate durant les semaines 8 à 14 de leur gestation. La dose administrée était de 25 mg par kilo de poids et par jour, ce qui correspond à la moitié de ce que les spécialistes appellent DSENO, soit la «dose maximale sans effets nocifs observés». Une dose à laquelle on n’est normalement pas exposé dans la vie courante, c’est vrai, mais une dose qui ne devrait pas avoir d’effets sur la santé. Ce fut le cas pour les rates de la génération 0, de même que pour leurs petits (la génération 1), admet Michael Skinner: «Nous n’avons pas trouvé d’effets toxiques liés à cette exposition directe à cette dose-là, et en cela, nos résultats coïncident avec les positions des industriels et les études qui concluent au fait que le glyphosate est faiblement toxique.»
Pour les deux générations suivantes, c’est une autre affaire. Chez elles, Michael Skinner a observé une «augmentation spectaculaire» de toute une série de maladies. Une hausse des cancers des reins, mais aussi des pathologies testiculaires, ovariennes, des tumeurs des glandes mammaires et des problèmes lors de la gestation et de la mise bas chez les femelles portantes, ainsi qu’une augmentation générale de l’obésité. Ce type d’effets «transgénérationnels» n’est pas une surprise totale pour le scientifique américain et son équipe, qui en avaient déjà observé avec d’autres substances potentiellement toxiques, notamment un autre herbicide, l’atrazine, interdit en Europe en 2003 et en Suisse en 2012.
Effets à «retardement»
Comment expliquer ces effets «à retardement»? Si les cellules du corps sont épargnées par une exposition à un produit potentiellement toxique, ce n’est pas forcément le cas des cellules dites germinales, à l’origine des spermatozoïdes et des ovocytes. L’effet transgénérationnel commence par des changements épigénétiques sur ces cellules germinales, qui vont ainsi se transmettre plus loin. Les altérations dites épigénétiques ne constituent pas en soi une modification des gènes, mais plutôt de la manière dont ceux-ci s’expriment. Ces modifications devraient normalement être effacées entre chaque génération et les compteurs remis à zéro, en quelque sorte. Mais il arrive, comme dans le cas de cette expérience sur le glyphosate, que le processus soit entravé et conduise à une augmentation du risque de développer certaines maladies. «L’effet d’une exposition directe de la génération 1 reprogramme les générations suivantes», résume Michael Skinner, qui a constaté, sur ces générations, des altérations dans l’ADN du sperme, pouvant, selon lui, être liées à l’expression d’un certain nombre de maladies.
Ses conclusions sont-elles pour autant transposables à l’être humain? Le glyphosate a été administré aux rongeurs par injection intrapéritonéale, qui permet, comme le rappelle le scientifique, un contrôle précis du dosage, mais ne correspond évidemment pas à une exposition en dehors d’un laboratoire. Ce qui n’empêche pas Michael Skinner de tirer un parallèle entre le boom du glyphosate ces dernières décennies et l’évolution de l’épidémie mondiale d’obésité. Surtout, le scientifique milite pour que ces effets indirects, cette «toxicité générationnelle», soient à l’avenir pris en compte dans l’évaluation des risques d’une substance comme le glyphosate. «Si la menace affecte nos arrière-petits-enfants, il faut la prendre en compte, en tout cas je l’espère», conclut-il. (TDG)
«Un signal d’alarme à prendre au sérieux»
Entretien avec Ariane Giacobino, médecin et chercheuse à l’Université de Genève, spécialiste de l’épigénétique
Auteur de l’étude, Michael Skinner est un des premiers scientifiques à avoir décrit les effets de certaines substances présentes dans l’environnement sur plusieurs générations.
«Ça lui a d’ailleurs valu beaucoup d’attaques et de commentaires», relève Ariane Giacobino, médecin et chercheuse à l’Université de Genève, spécialiste de l’épigénétique. Son équipe a déjà eu l’occasion, par le passé, de répliquer certaines expériences du biologiste américain sur les pesticides, et de confirmer ses résultats.
Face à la perplexité que peut faire naître l’idée que des facteurs environnementaux produisent des effets délétères qui «traversent» des générations, elle tranche: «Oui, ces effets sont possibles, nous avons pu en observer dans le cadre de nos travaux aussi.»
La spécialiste genevoise estime que l’étude américaine est solide. «Il ne s’agit pas d’une étude de toxicologie classique dans laquelle on augmente petit à petit la dose d’une molécule pour voir si les effets augmentent proportionnellement. Ici, on part de l’hypothèse selon laquelle le glyphosate produit des effets transgénérationnels.
Dans ce contexte, la méthode utilisée est tout à fait valable. Elle s’appuie sur les techniques les plus récentes. On pourrait critiquer l’utilisation d’une injection intrapéritonéale qui rend problématique une extrapolation à l’être humain et à la manière dont il peut être exposé au glyphosate. En même temps, c’est une façon fiable de contrôler un dosage.»
Autre bémol, selon elle: si les maladies des deuxième et troisième générations de rats collent avec les différentes régions du génome où des altérations ont été observées, aucun gène spécifique n’a, pour l’heure, pu être ciblé.
Pour Ariane Giacobino, cette étude inédite est un «bon travail de défrichage», qui mérite d’être approfondi. «Mais elle montre toutefois très bien que le glyphosate abîme de manière transgénérationnelle. C’est donc un signal d’alarme à prendre au sérieux.»
https://www.tdg.ch/dossiers/geneve/effets-glyphosate-sautent-generations/story/17469112
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