Lise Bailat@LiseBailat, ABO+, 24heures.ch, 25 janvier 2020
La nouvelle technologie de téléphonie mobile se déploie rapidement en Suisse. Mais que nous promet-elle au niveau climatique? Enquête.
L'utilisation de la 5G risque d'engendrer une multiplication des dépenses énergétiques. Image: Cavan Images |
Pour Peter Grütter, le président de l’Association suisse des télécommunications (asut), la réponse est évidente: «La 5G devrait être la star des Verts. Elle permettra de gérer beaucoup mieux tout ce qu’on entreprend aujourd’hui en matière de durabilité: la gestion des eaux, des déchets, même la diffusion de pesticides dans l’agriculture. Vous aurez des capteurs sur les glaciers, dans les forêts ou encore sur le plumage des oiseaux menacés. Grâce aux nouvelles applications que la 5G permettra, on pourra tout analyser en temps réel.»
Convaincus, les Verts? «Je suis persuadée que la technologie peut être une chance. Mais avec la 5G, on a mis la charrue avant les bœufs, réagit la conseillère aux États Lisa Mazzone (Verts/GE). Ce débat n’est pas du tout mûr, même sur le plan des connaissances scientifiques. Et on a l’impression que ce sont les opérateurs qui ont la main et pas l’État.»
Ça ira plus vite, ça consommera plus
En France, le débat sur l’utilité écologique de la 5G est plus vif que celui sur la santé. Dans une tribune publiée dans «Le Monde» au début du mois, le groupe de recherche Shift Project, qui prône une économie décarbonisée, lance la charge: «Il y a aujourd’hui un consensus pour dire qu’un équipement 5G consomme trois fois plus qu’un équipement 4G.» Peter Grütter admet qu’il faudra plus d’électricité pour faire marcher la nouvelle technologie, mais il explique le mécanisme: «Le déploiement de la 5G va améliorer nettement l’efficacité énergétique par donnée transmise. Mais comme on transmettra plus de données, la consommation d’énergie augmentera en conséquence. Cela dit, le trafic de données mobiles double tous les 12 à 18 mois aujourd’hui déjà, 5G ou pas.»
Mais les détracteurs de la technologie ne s’arrêtent pas là. Ils pointent du doigt la face cachée de l’iceberg: il faudra bien produire ces voitures autonomes, frigos connectés et autres tracteurs intelligents que nous promet la 5G et qui viendront remplacer d’autres objets. «C’est vrai. Il faudra beaucoup de composants modernes pour faire marcher tout cela, réagit Peter Grütter. Le tracteur devra être remplacé par une autre machine. Tout cela devra être produit. Mais je ne pense pas que cela accélérera le cycle ordinaire de remplacement. En revanche, dans certains pays moins développés, l’essor de la 5G pourra se faire avec des objets de nouvelle génération. C’est une chance pour la planète.»
De son côté, l’opérateur Sunrise cite une étude sur l’impact socio-économique de la 5G: «Elle apportera à la Suisse des avantages environnementaux de 140 millions de francs d’ici à 2030, principalement grâce aux Smart Workplace Solutions (ndlr: les places de travail intelligentes).» Un gain en millions de francs, mais quel gain en termes de CO2? Les études manquent. Mais Peter Grütter est en convaincu: «Les économies d’énergie et les réductions d’émissions de CO2 rendues possibles par la 5G dépasseront de loin l’émission de CO2 de la technologie en elle-même.»
Tout dépendra de l’encadrement
Toute la question est là: est-ce qu’on utilisera la 5G d’abord pour mieux se chauffer et optimiser nos déplacements? Ou plutôt pour regarder le match de Federer en haute définition sur notre nouveau téléphone? Une étude de l’Université de Zurich publiée en 2017, en collaboration avec Swisscom et le WWF, livre des clés. Selon le scénario le plus optimiste, l’utilisation du numérique en Suisse sera nettement bénéfique pour l’environnement en 2025. Il permettra d’économiser, dans d’autres secteurs, un peu plus de trois fois les émissions de gaz à effet de serre qu’il engendrera lui-même. Dans le scénario pessimiste en revanche, le numérique pèsera encore davantage sur la planète qu’aujourd’hui et émettra 4 fois plus de gaz à effet de serre qu’il ne permettra d’en économiser. En résumé, disent les chercheurs, tout dépendra de la manière dont on appliquera et encadrera les technologies et surtout dont on consommera les objets qui y sont liés.
«La 5G n’a pas été conçue pour réduire les émissions de CO2»
Françoise Berthoud, Ingénieure au CNRS à Grenoble et fondatrice d’EcoInfo, un groupement qui défend la sobriété numérique
La 5G peut-elle permettre à terme une réduction des émissions de CO2?
La réponse est probablement non, même si on ne peut jamais prédire l’avenir. En soi, la technologie 5G n’a pas été conçue pour cela, mais pour augmenter la quantité de données transmises et permettre tout un tas d’applications comme les véhicules autonomes ou encore l’internet tactile.
C’est justement parce qu’elle favorisera le télétravail, l’e-banking, ou encore l’agriculture connectée que certains opérateurs de téléphonie prétendent que la 5G est bonne pour l’environnement. C’est un a priori?
Oui, c’est un a priori. En réalité, on ne sait pas. Mais on sait en revanche que jusqu’à maintenant, on n’observe pas de réduction des émissions de gaz à effet de serre liée à l’utilisation du numérique. Pourtant, la 4G permet déjà de faire du télétravail et des tas de choses par rapport à la 3G. Mais cela n’a pas réduit la pollution des autres secteurs de façon substantielle, bien qu’on y ait beaucoup cru. Cela s’explique par une quantité de phénomènes comme les effets indirects et les effets rebonds, et surtout par le fait que notre modèle économique est resté inchangé. Raisonnablement, il n’est pas imaginable que la 5G en elle-même permette une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre sans autre action.
C’est la 5G en tant que technologie, la coupable, ou la manière dont nous pourrions l’utiliser?
Un peu les deux. L’économie a envie que la 5G se développe parce que cela permettra de mettre sur le marché de nouvelles applications, de nouveaux objets et concepts et que cela favorisera la croissance. Mais ce n’est pas de la croissance immatérielle. Ensuite, il y aura du marketing et du lobbying pour pousser à l’utilisation de ces objets. Or le citoyen aujourd’hui, à quelques exceptions, n’est pas en demande forte de 5G. Il y a une résistance par rapport à sa mise en place au sein de la population parce que les gens ne sont pas dupes.
Pourquoi est-ce polluant de regarder une vidéo en streaming ou d’envoyer un e-mail?
C’est polluant, parce que lorsque vous regardez une vidéo en streaming vous avez besoin d’un équipement extrêmement complexe à fabriquer et à produire. Un téléphone comme un ordinateur contient plusieurs dizaines de métaux et de composants différents. Ces matériaux sont extraits dans différentes régions du monde, puis assemblés et composés. Cela génère beaucoup de pollution puis de trafic pour construire cet objet que vous allez jeter, en moyenne, au bout de deux ans. Ensuite, la plupart des gens imaginent que leur téléphone sera bien recyclé mais ces objets ne sont pas conçus pour être recyclés de façon optimale. Et il y a la partie énergie. Il a fallu de l’énergie pour le produire, il en faudra pour le recycler et il faut de l’énergie pour transporter les données et stocker les vidéos.
Lorsqu’on parle de réchauffement climatique, on pointe du doigt les avions, la consommation, mais jamais le numérique. Pourquoi à votre avis?
Parce que c’est moins visible et plus complexe. Mais des estimations récentes disent que le numérique génère plus de gaz à effet de serre que l’aviation civile. Certains rétorquent que le numérique est utilisé par davantage de monde, ce qui est vrai. Mais c’est aussi un secteur qui croît plus vite que l’aviation: on parle de 8 à 9% par an! Et même si les énergies renouvelables se développent, l’extraction des métaux ne se fait pas avec des panneaux solaires!
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