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25 nov. 2023

Des iPhone aux émissions trop élevées sont bradés en Suisse

Des iPhone aux émissions trop élevées sont bradés en Suisse

Les smartphones qui dépassent les normes électromagnétiques sont punis en France, où l’iPhone 12 a été retiré de la vente durant un mois. En Suisse, on ne surveille pas les fabricants… et on écoule les stocks.

par Fanny GiroudOlaf König, Tribune de Genève et 24 heures, 23 novembre 2023

(Photo) : Pour être commercialisés, les téléphones doivent respecter des valeurs limites d’émissions (DAS) que les fabricants autodéclarent. Mais aucune surveillance n’est effectuée en Suisse.
Credits: Pexels/Eren Li


C’est la semaine du Black Friday et nos écrans sont inondés de pub. Ceux qui cherchent un téléphone haut de gamme auront peut-être repéré l’iPhone 12 vendu à moins de 500 francs par certains marchands en ligne, soit 150 à 200 francs de moins que le reste de l’année.

Rappelons pourtant que cet appareil a été retiré de la vente en France cet automne. En cause: les valeurs DAS (pour débit d’absorption spécifique) mesurées par l’ANFR (l’Agence nationale des fréquences) qui dépassaient largement les normes légales européennes en la matière.





Le DAS, c’est quoi?

Une partie de l’énergie transportée par les ondes électromagnétiques est absorbée par le corps humain, et entraîne notamment une élévation de température des tissus. Pour quantifier cet effet, la mesure de référence est le débit d’absorption spécifique (DAS), pour toutes les ondes comprises entre 100 kHz et 10 GHz. Le DAS s’exprime en watts par kilogramme (W/kg).

Le DAS reflète le comportement d’un téléphone dans une situation «extrême», lorsque celui-ci doit émettre à sa puissance maximum et que le DAS est donc le plus élevé. Il n’est donc pas représentatif du comportement «typique» d’un téléphone, et la Commission fédérale des communications américaine décrit ce que le DAS ne montre pas.

Pour être commercialisés, les téléphones portables doivent ne pas dépasser des valeurs limites fixées par les normes européennes, qui définissent trois mesures de DAS à respecter.

Le «DAS tronc», qui est associé aux usages où le téléphone est porté près du tronc, par exemple dans une poche de veste ou dans un sac. Sa valeur limite est de 2 W/kg.

Le «DAS tête», qui reflète l’usage du téléphone à l’oreille, en conversation vocale. Sa valeur limite est de 2 W/kg.

Enfin le «DAS membre», qui correspond à un usage du téléphone plaqué contre un membre, par exemple tenu à la main, porté dans un brassard ou dans une poche de pantalon. Sa valeur limite est de 4 W/kg.

En septembre 2023, un test de l’ANFR révélait en effet que l’iPhone 12 d’Apple émettait 5,2 watts par kilo, bien plus que la limite tolérée de 4 W/kg. Les détenteurs de cet appareil peuvent cependant lire dans la notice d’utilisation que le DAS est de 3,8 W/kg pour l’iPhone 12.


L'iPhone 12, dépassant largement la limite de 4 W/kg lors de son premier test

DAS membre mesurés par l'ANFR, en watts par kilogramme. La taille des cercles est proportionnelle aux DAS membre mesurés.



Apple ne vend plus d’iPhone 12 depuis qu’elle a annoncé son nouvel iPhone 15 au mois de septembre 2023, mais le téléphone se trouve encore facilement en Suisse et en France chez de nombreux revendeurs, qui écoulent leurs stocks cette semaine à grand renfort de soldes.

La Suisse cherche encore son surveillant

En Suisse, les fabricants sont responsables du respect des valeurs DAS pour les appareils qui émettent des rayonnements dits «non ionisants» (RNI), tels que téléphones mobiles, mais aussi les lampes UVC pour la désinfection ou les lasers cosmétiques à usage domestique.

Il s’agit bien d’une lacune législative, nous explique l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). À la suite d’une interpellation de 2019 au Conseil national («Mise en danger de la santé par les téléphones portables en raison du non-respect des valeurs SAR»), un groupe de travail a été créé en février 2020 par le Conseil fédéral pour étudier les compétences et les moyens requis par une éventuelle surveillance.

«Ces questions ont fait l’objet de discussions intensives au sein de ce groupe de travail», assure l’OFSP, contacté à ce sujet. Les résultats seront présentés au Conseil fédéral «dans les meilleurs délais».

Une nouvelle interpellation de juin 2023 demande pourquoi le Conseil fédéral laisse aux fabricants et aux importateurs le soin de contrôler le respect des valeurs DAS. «La réponse m’a quelque peu effrayée dans la mesure où la Confédération cherche apparemment depuis trois ans une autorité compétente pour la surveillance du marché», commente son auteure, la conseillère nationale Verte Marionna Schlatter. La Zurichoise a ensuite déposé une motion demandant au Conseil fédéral de désigner une autorité.

Les valeurs DAS véritables

Même si la Suisse ne dispose d’aucun moyen de contrôle, les normes européennes doivent être respectées sur le principe de l’autodéclaration par les fabricants. Chaque téléphone doit indiquer dans la notice d’utilisation quelles sont les valeurs DAS maximales pour la tête, les membres et le tronc. La France, de son côté, effectue des tests surprises et publie ses résultats. Les fabricants d’appareils qui sont non conformes sont amendés et les téléphones peuvent être retirés du marché ou rappelés, si les mises à jour pour diminuer les émissions ne satisfont pas aux limites réglementaires.

Quels sont les bons et les mauvais élèves? Nous avons comparé les valeurs officielles données par les fabricants et les valeurs réelles de 180 téléphones portables, testés par l’ANFR depuis 2019 (voir le classement complet ici).


Les modèles les plus récents n’ont malheureusement pas encore été testés. Ces tests ne concernent qu’une petite partie du marché des téléphones, et l’ANFR mesure avant tout les DAS tronc et membre (le DAS tête n’étant pratiquement jamais testé).

Premier constat: les fabricants de téléphones respectent généralement les limites réglementaires pour les différents DAS tronc, membre et tête. Et lorsqu’un téléphone les dépasse et que l’ANFR les épingle, les fabricants réussissent à les rendre conformes avec des mises à jour logicielles.

Les DAS mesurés par l'agence nationale française des fréquences

DAS Tronc mesurés par l'ANFR, en watts par kilogramme. La taille des cercles est proportionnelle aux DAS tronc mesurés.
Sélectionnez un DAS:
Membre Tronc Tête


Néanmoins, il faut parfois davantage qu’une seule mise à jour pour que le seuil soit respecté. Samsung a par exemple dû repasser le test à deux reprises pour que son smartphone Galaxy Z Flip soit rendu conforme pour le DAS tronc. Mesuré à 2,5 W/kg lors du premier test (limite réglementaire à 2 W/kg), son DAS tronc a augmenté à 3 W/kg après une première mise à jour censée corriger le problème, puis arrive enfin à 1 W/kg après une deuxième mise à jour. Pour ce téléphone, Samsung s’est vue sanctionnée d’une amende de 7500 euros par l’administration française du fait du dépassement.

Et ce fabricant n’est pas le seul. Xiaomi pour son téléphone Poco X3, ou Nokia pour son téléphone 7 Plus ont également dû s’y reprendre à deux fois pour respecter les valeurs limites.

Deuxième constat: les différences entre les valeurs annoncées par les fabricants et les valeurs mesurées par l’ANFR sont importantes, et vont dans les deux sens. Parfois les fabricants déclarent des DAS plus élevés que ceux mesurés (ils «surdéclarent»), et parfois les DAS déclarés sont inférieurs à ceux mesurés (ils «sous-déclarent»).

Les données ne suggèrent donc pas que des fabricants adopteraient une stratégie pour tromper le consommateur, en sous-déclarant systématiquement ces valeurs.

Les différences frappantes entre les valeurs indiquées et les valeurs réelles

Différence entre les DAS membre indiqués par les constructeurs et mesurés par l'ANFR, en watts par kilogramme. La taille des cercles est proportionnelle aux DAS membre mesurés.
Sélectionnez un DAS:
Membre Tronc Tête



La tendance est même plutôt inverse pour le DAS tronc, où les fabricants ont tendance à déclarer des DAS plus élevés que ceux mesurés, à l’exception de Sony ou d’Apple.

Par exemple, Apple déclare des valeurs très uniformes pour les différentes gammes de iPhone, avec des DAS tronc d'environ 1 watt par kilogrammes. Les mesures en laboratoire donnent des résultats presque systématiquement plus élevés, jusqu’à 1,7 W/kg pour l’iPhone 11 Pro Max et l’iPhone XS, soit 70% de plus que la valeur annoncée.

À l’inverse, des marques comme Samsung, Huawei ou Honor sont très prudentes, et sur-déclarent presque systématiquement les DAS tronc de leur téléphone.

Pour le DAS membre, le tableau est plus contrasté. Des marques comme Apple ou Huawei jouent la prudence en surdéclarant leur DAS, alors que les autres marques sont très mixtes.

Quoi qu’il en soit, les données de l’ANFR montrent à quel point les valeurs déclarées peuvent différer de la réalité, et qu’une autorité de contrôle permet de combler les écueils de l’autodéclaration. Ne reste plus qu’à la Suisse de trouver son surveillant.


Comment se protéger des ondes électromagnétiques

Il n’y aucun consensus sur la nocivité des rayonnements électromagnétiques des mobiles. En attendant que cette question hautement polémique soit mieux étudiée, on peut appliquer certaines précautions pour limiter son exposition au quotidien.

- Utiliser un kit mains libres autant que possible

- Eviter de téléphoner lorsqu’il y a peu de réseau

- Eteindre son téléphone la nuit, le mettre en mode avion ou simplement l’éloigner de soi la nuit.

- Se renseigner sur les valeurs DAS lors de l’achat. Dans la liste de l’ANFR, les mobiles qui ont dépassé les valeurs limites lors du test de rayonnement sont signalés par le terme «non conforme».


Fanny Giroud est data journaliste depuis une spécialisation en 2015 à l'Université Columbia de New York. Elle travaille au sein de l'équipe «interactif» de Tamedia en maniant le texte et l'analyse informatique de données.Plus d'infos

Olaf König a rejoint la rédaction Tamedia en septembre 2022, au sein de l’équipe en charge du datajournalisme et du journalisme visuel. Géographe de formation, il a longtemps travaillé à l’Office fédéral de la statistique, où il a notamment dirigé le service de cartographie thématique.Plus d'infos

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