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30 déc. 2019

L’autisme, une pathologie victime de l’environnement moderne ? Où en est-on en 2019 ?

L’autisme, une pathologie victime de l’environnement moderne ? Où en est-on en 2019 ?

Jacques Lintermans, Docteur ès sciences de l’Université de Fribourg (Suisse),
Jean-Emile Vanderheyden, Dr. Méd. Neurologue, 
Neurone, Vol. 24, no. 9, 2019, pp.60-64

Cet article fait le point sur les données épidémiologiques, les hypothèses étiologiques et les aspects et surtout perspectives thérapeutiques concernant l’autisme, dont la prévalence augmente manifestement dans les pays industrialisés. Ils abordent différentes problématiques comme les perturbateurs endocriniens et neuronaux, les infections in utero, le microbiote intestinal, les champs électromagnétiques, la concentration intra-neuronale élevée en ion chlorure et leurs futures prises en charge

Une évolution épidémiologique inquiétante

L’autisme consiste en un trouble du développement cérébral caractérisé par des difficultés de l’apprentissage social et de la communication avec des comportements stéréotypés et répétitifs. Par contre, il n’y a pas nécessairement d’atteinte du langage, ou de retard mental, même au contraire certains autistes ont une intelligence supérieure à la moyenne, avec surspécialisation dans certains domaines comme le calcul mental….Ceci est dû particulièrement à la création d’un nombre plus important que la moyenne de synapses pendant l’enfance et une diminution de l’élagage de celles-ci pendant l’adolescence, amenant une densité importante des épines dendritiques (1).



Actuellement l’origine de l’autisme est attribuée en partie à une prédisposition génétique (2) et d’autre part à une anomalie structurelle du développement du cerveau, notamment lors de la formation des réseaux neuronaux et de l’agencement des synapses (3), où l’influence environnementale ne paraît pas négligeable. Il existe différentes formes cliniques de l’autisme, comme la bien connue et moins sévère appelée syndrome d’Asperger, le tout constituant le spectre des troubles autistiques. Comme il s’agit d’un trouble neuro-développemental, l’autisme touche fort tôt les enfants, à un âge où le diagnostic n’est pas facile : le dépistage précoce entre 12 et 30 mois se fait via les parents ou intervenants de santé (en crèche…) qui peuvent constater des signes suspects. Ceux-ci doivent alors rapidement être confirmés par un examen auprès d’un médecin spécialisé.

Jusqu’à il y a une ou deux dizaines d’années, 1 enfant sur 160 dans le monde présentait un trouble du spectre de l’autisme, les garçons étant quatre fois plus nombreux que les filles à en être affectés. Cependant, cette prévalence est en augmentation surtout dans nos pays industrialisés, atteignant environ 1% de la population : 1/150 en France, 1/70 aux USA voire 1/40 en Corée… sur base d’une incidence en nette hausse dans les pays industrialisés (4). Il est donc important de diagnostiquer précocement l’autisme pour mettre en route au plus vite des mesures d’encadrement thérapeutique encore peu efficace, les progrès diagnostiques et la recherche étiologique sont en cours : un objectif sociétal majeur serait d’agir sur les facteurs étiologiques mis en évidence.

Étiologie et facteurs de risque

L’augmentation considérable de l’incidence de l’autisme, observée singulièrement au cours de la dernière décennie (5) ne s’explique cependant pas uniquement par les progrès de son diagnostic, ni en raison des aspects génétiques. Il faut donc envisager des facteurs récents de causalité environnementale, liés à l’évolution de la technologie moderne, comme la large exposition de la population aux champs électromagnétiques (CEM), notamment ceux de radiofréquence, et à un large éventail de produits chimiques, incluant spécialement les perturbateurs endocriniens ou neuronaux (6). L’exposition de l’enfant peut, selon le mode de vie maternel, avoir lieu in utero – comme dans les cas d’infection virale ou de toxiques passant la barrière placentaire - ou de manière post-natale. 

D’autres facteurs de risque sont également évoqués comme un microbiote maternel spécifique (7), transmis par les voies génitales à l’accouchement, sauf bien entendu en cas de naissance par césarienne.

Pour expliquer le sex ratio de 3 à 4 garçons pour une fille, un modèle a été proposé qui implique la responsabilité du seuil de l’empreinte génétique du chromosome-X dans l’expression phénotique des caractéristiques autistiques, le chromosome-X étant protecteur par nature, le femme serait mieux protégée que les hommes (8-9). 

Les perturbateurs endocriniens et/ou neuronaux

Les expositions précoces aux nombreux produits chimiques (environ 150.000 dont moins de 10% seulement ont été testés pour jauger de leur dangerosité à long terme et cumulée !) dans l’utérus ou la petite enfance peuvent interférer avec le développement du cerveau. In utero, le fœtus démontre une hypersensibilité aux hydrocarbures aromatiques polycycliques et aux mutagènes en raison d’une moindre capacité de désoxydation et de réparation de l’ADN qu’un organisme adulte. Lors du développement cérébral, des effets hormonaux, des molécules de signalisation et de contacts cellulaires peuvent être perturbés par des substances exogènes qui se lient aux récepteurs concernés. Ces perturbateurs endocriniens et/ou hormonaux sont à l’origine de ce qu’on appelle maladie de civilisation, au rang desquelles on peut ajouter le diabète, l’asthme….aussi présents dès l’enfance (10-11).

Une contamination par le mercure compte parmi les facteurs responsables de l’autisme. Lorsque cette contamination est avérée, il a été montré qu’une détoxification est facilitée par une réduction concomitante des CEM composant l’environnement du malade

Infection virale in utero

Une autre cause pouvant conduire à l’autisme au cours du développement in utero est une infection virale (13). De telles contaminations sont devenues moins fréquentes grâce au développement des vaccins mais leur gravité est bien établie. L’origine virale de l’autisme a été démontrée sur modèle animal (14) et observée cliniquement, notamment dans les cas de rubéole et de contamination par cytomégalovirus (15) chez la mère pendant la période de gestation. Les CEM peuvent aggraver les effets des infections chez la femme enceinte, c’est d’une part en affaiblissant son système immunitaire, et d’autre part en provoquant l’ouverture de la barrière placentaire.

Il pourrait en être de même chez les enfants. Une théorie intéressante, bien que controversée car insuffisamment documentée, est proposée avec la piste bactérienne de l’autisme. Il s’agit d’une piste mettant en cause des infections gastro-intestinales. Cette piste est validée par des observations cliniques rapportant une amélioration de leurs symptômes autistiques chez des enfants traités aux antibiotiques ou probiotiques (7, 16)

Le microbiote maternel

Les études du microbiote intestinal ont montré dans un modèle murin de troubles du spectre autistique, par rapport à des contrôles, une réduction des colonies de Bacteroïdes et Prevotella, mais une augmentation des Enterobacteriaceae, avec une perméabilité intestinale plus importante (7). De plus, le sérum des souris atteintes contenait 46 fois la quantité normale de sulfate d’éthylphényle 4 (4-EPS), métabolite de bactéries intestinales. Ce métabolite est chimiquement proche du crésol-p, autre métabolite intestinal retrouvé en concentration élevée dans l’urine des enfants autistes. Administré à des souris saines, le 4-EPS engendre des comportements similaires aux souris malades (7), suggérant que le 4-EPS, après avoir traversé la barrière intestinale, puisse agir au niveau cérébral.

Effets des champs électromagnétiques 

Les CEM exercent sur certaines fonctions organiques des effets qui sont objectivement démontrés, à savoir un affaiblissement du système immunitaire (17), une ouverture des barrières placentaire (18) et hémato-encéphalique (19), un dysfonctionnement des canaux calciques au niveau de la paroi cellulaire (20). La maintenance d’un gradient physiologique d’oxygène entre la circulation utérine et fœtale est essentielle pour les fonctions placentaires. Au niveau cellulaire, les microondes peuvent altérer la fonction mitochondriale avec production excessive des formes actives de l’oxygène (21). Il se crée alors un stress oxydatif pathophysiologique (22)). Le manque d’apport adéquat d’oxygène au fœtus causera un retard de croissance intra-utérin, ultérieurement suivi de troubles neuro-développementaux (23) dont l’autisme pourrait être une des conséquences.

Du degré de proximité entre une femme enceinte et un système émetteur de microondes dépendra une exposition plus ou moins intense du fœtus aux CEM, favorisée par l’ouverture de la barrière placentaire sous l’effet de cette irradiation. Une telle situation se produisant de manière répétitive au cours du premier trimestre de la grossesse et donc au stade précoce de développement du fœtus, peut conduire à l’autisme par aberration épigénétique (24-25), c'est-à-dire par une altération du mécanisme naturel régulant les réactions biochimiques qui modifient les gènes en fonction de leur activité, sans changement de la séquence nucléotique de l’ADN.

De plus, il est fortement suspecté que dès la naissance et pendant la prime enfance, une exposition d’un sujet aux CEM peut causer l’autisme en créant une ouverture des canaux calciques des parois cellulaires, provoquant un afflux excessif d’ions calcium dans les neurones et perturbant le mécanisme de formation des synapses (26). Une autre hypothèse mérite une attention particulière : la stimulation non-allergique des mastocytes dans le système nerveux central, engendrant une libération de substances inflammatoires (27). Ce mécanisme parait plausible puisque sous l’action des CEM une telle stimulation est observée au niveau des mastocytes cutanés (17). Chez les enfants, il serait favorisé par la petite dimension anatomique du crâne, qu’il est facile aux microondes de traverser en se diffusant dans la matière cérébrale.

Concentration en ion chlorure intra-neuronale trop élevée

Depuis quelques années, à Marseille, l’équipe de recherche en neurobiologie menée par Yehezekel Ben-Ari, explore l’hypothèse étiologique de l’autisme basée sur la persistance après l’accouchement et l’exposition naturelle à l’ocytocine, d’une concentration intraneuronale élevée en ion chlorure. Ceci a été mis en évidence, entre autres, par un effet excitateur des benzodiazépines chez les autistes. L’hypothèse de l’utilisation thérapeutique d’un diurétique pour diminuer ce taux élevé de chlorure ionique est aussi basée sur des études animales avec un modèle murin de l’autisme (28).

Aspects préventifs et thérapeutiques

Se basant sur les données actuelles et en attendant mieux, le CSS suggère le concept d’hygiène environnementale physico-chimique et lance des recommandations générales type ‘éviter les tatouages, les lignes de haute tension, limiter les cosmétiques….’ (34) L’évitement de la proximité d’émetteurs d’ondes comme tablette, téléphone portable, wifi, DECT est à envisager sérieusement chez les femmes enceintes. Outre la prévention des infections virales chez la femme enceinte, des modifications du microbiote chez la mère et l’enfant sont à l’étude, en utilisant des probiotiques voire une greffe fécale. Ainsi, de premières tentatives thérapeutiques probiotiques sont menées par du Bacteroïdes fragilis ou une antibiothérapie spécifique. Quelles que soient les sources d’irradiation des CEM, la meilleure façon d’éviter leurs effets sur les enfants est d’en limiter le type, le nombre et l’intensité.

Traitement pharmacologique des effets des CEM 

Une protection contre les effets des CEM peut être effectuée par la voie de la pharmacologie cellulaire en utilisant des antagonistes naturels (29), lesquels semblent le mieux indiqué compte tenu de la fragilité des sujets concernés. Contre le stress oxydatif, agissant comme antioxydant la coenzyme Q10 peut neutraliser les radicaux libres et protéger les mitochondries dont elle est un des constituants (30). Contre le dysfonctionnement du mécanisme de formation des synapses, la taurine peut agir comme protecteur membranaire des neurones (31). Elle peut être administrée au nourrisson sous forme de supplémentage dans le lait qui en contient naturellement. Chez le jeune enfant et l’adolescent, un effet synergique peut être obtenu en associant la taurine et le magnésium.

La spiruline parait un candidat répondant aux critères de protection du système immunitaire. Apparentée au domaine alimentaire, on lui connait peu d’intolérance même à des doses élevées ce qui permet de la donner aux enfants. Les raisons de la choisir en vue d’antagoniser les effets des CEM sur la dégranulation des mastocytes du cerveau tiennent au fait que la spiruline a un pouvoir inhibiteur de la libération d’histamine ce qui lui confère des propriétés anti-inflammatoires (32).

Le traitement par le diurétique bumétanide

Après des études encourageantes y compris de phase IIb sur 88 patients et une étude en f-Irm plaidant pour un effet favorable sur la reconnaissance émotionnelle (28), le team de recherche de Y Ben-Ari, réalise actuellement une étude de phase III avec le diurétique bumétanide sur 400 enfants, dont les résultats sont attendus en 2021

Essais thérapeutiques avec l’ocytocine

Des chercheurs japonais ont montré dès 2013 qu’un traitement à l’ocytocine, par voie intranasale, peut améliorer des aspects comportementaux et des évaluations neuropsychologiques chez des patients masculins démontrant un fonctionnement autistique sévère (33). Cette recherche s’inscrit dans des essais d’objectivation, car depuis peu, l’ocytocine semble bien pouvoir améliorer certains symptômes des troubles du spectre de l’autisme (34) L’étude comportait une seule administration intranasale de 24 UI d’ocytocine. Ensuite, les sujets étaient soumis au bilan neuropsychologique et à une imagerie de type résonance magnétique fonctionnelle. Le traitement à l’ocytocine a significativement augmenté le nombre de NVJ (p=0.O3), qui au départ se situait plus bas que chez des contrôles sains. Le temps de réponse, au milieu de stimuli non-congruents, s’est aussi raccourci (p=0.02). En outre, l’activité de l’aire préfrontale médiane s’est améliorée (p<0.001), au point de rejoindre celle des sujets contrôles. Il y avait même une corrélation significative entre les deux derniers items, et l’ocytocine améliorait aussi la coordination fonctionnelle entre le cortex cingulaire antérieur et le cortex préfrontal médian dorsal (p<0.01), ce qui paraît bien important pour diminuer le déficit socio-relationnel chez ces patients. Aucun effet secondaire significatif n’a été noté. Les auteurs concluent que l’ocytocine peut adoucir les déficits socio-relationnels dans les troubles du spectre de l’autisme. D’autres études seront toutefois nécessaires pour affiner ces résultats et, entre autres, préciser la courbe ‘dose/réponse’, l’effet ou non à long terme et l’innocuité d’une telle administration d’ocytocine chez les femmes.

Conclusions

D’autres études de confirmation sont importantes à réaliser afin de mieux comprendre les divers aspects de la problématique et étayer les hypothèses développées ci-dessus. Il est aussi important de mieux pouvoir identifier avant la mise à disposition des consommateurs, les produits chimiques ou les ondes comportant du danger pour la santé humaine. Des programmes de recherche dans ce sens comme l’européen ‘Reach’ (35) devrait donc être mieux soutenu et amplifié, pour être plus performant.


Références 
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    Article publié dans le journal NEURONE, 2019;24(9):60-64

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