par Raphaël Brun, monacohebdo.mc, 17 juillet 2019
Faut-il s’inquiéter du déploiement de la 5G ? Médecin épidémiologiste du cancer et ancienne directrice d’unité au centre international de recherche sur le cancer, qui est l’agence spécialisée de l’organisation mondiale de la santé, Annie Sasco tire la sonnette d’alarme. Interview.
Pourquoi avoir décidé de vous intéresser à la cancérologie ?
Une moitié des cas de cancers restent inexpliquée. Du coup, depuis 1990, je m’intéresse au fait que dans l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit, la nourriture que l’on mange, le sol sur lequel on vit et les objets que nous manipulons au quotidien, il y a de très nombreux cancérogènes. Aussi bien des cancérogènes chimiques, que des agents physiques, comme les radiations. Ces radiations sont de deux types : les radiations ionisantes, comme par exemple lorsqu’on passe une radiographie médicale ou quand on vit près d’une centrale nucléaire. Et il y a aussi les radiations non ionisantes. Elles concernent tout le domaine des champs électro-magnétiques.
A quand remontent les premières études sur la santé des humains ?
Aux années 1950, surtout en URSS. Ces études portaient alors notamment sur ceux qui travaillaient avec les radars qui utilisent des champs électromagnétiques. Les Soviétiques se sont aperçus que les gens exposés avaient un risque augmenté de cancers. Puis, les Américains ont fait des études sur leurs travailleurs dans les radars. Et ils sont arrivés aux mêmes conclusions.
Les champs électromagnétiques se sont développés à quel moment ?
Après les radars, il y a d’abord eu l’arrivée du four à micro-ondes. Puis, il y a eu le lancement de la téléphonie mobile. Et ça a été un grand boom. Ce qui a changé, c’est que l’on se colle la source de champs électromagnétiques directement à l’oreille, juste à côté du cerveau. A la fin des années 1990, les premières études ont été lancées, pour savoir si les utilisateurs de téléphones mobiles prenaient des risques. Je rappelle qu’à l’époque, les téléphones ne servaient qu’à téléphoner, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Les conclusions de ces premières études ?
Les premières études viennent des pays nordiques. Ces études ont conclu que ceux qui utilisaient beaucoup leurs téléphones portables présentaient un risque accru de tumeurs du cerveau. A l’époque, on considérait qu’un utilisateur régulier, c’était une personne qui passait au moins un coup de fil par semaine pendant au moins 6 mois. Cette étude a été réévaluée dans le cadre d’une très large étude internationale qui a concerné 13 pays, qui s’appelle Interphone. Là aussi, il a été montré que les plus gros utilisateurs présentent un risque 1,5 fois plus grand de développer une tumeur du cerveau. Ce risque était d’autant plus marqué quand les personnes avaient commencé à utiliser un téléphone portable avant l’âge de 20 ans.
Les conséquences ?
En mai 2011, lors d’une réunion à Lyon, au centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’agence de l’organisation mondiale de la santé (OMS) a conclu que l’exposition aux champs électro-magnétiques était un « cancérogène possible » pour l’être humain. Il existe cinq degrés dans la classification : dans l’ordre, il y a d’abord les cancérogènes avérés, puis les cancérogènes probables et, juste après, les cancérogènes possibles. Viennent ensuite les agents qui sont considérés comme ne pouvant être classifiés pour leur effet cancérogène, ou pas, au moment où l’évaluation est faite. C’est un peu la catégorie « je ne sais pas », ce qui est très différent de « je peux affirmer avec des preuves concrètes qu’il n’y a aucun danger ».
Que s’est-il passé depuis 2011 ?
D’autres études ont été réalisées. Notamment une étude française, réalisée dans plusieurs villes, qui montre que les gens qui utilisent leur téléphone mobile 30 minutes par jour ont un risque qui est à peu près doublé d’avoir une tumeur du cerveau. Donc le profil des résultats est toujours le même : ceux qui sont les plus gros utilisateurs ont un risque augmenté.
Et aujourd’hui, en 2019 ?
Aujourd’hui, on est face à des individus qui sont pratiquement collés à leur téléphone toute la journée et qui dorment parfois avec leur téléphone à côté d’eux. On se sert de son téléphone pour regarder un film, pour écouter de la musique, pour jouer, pour parier en ligne… De plus, le téléphone mobile fonctionne aussi lorsqu’on ne s’en sert pas, puisqu’il est capable de dire où l’on se trouve et même de donner la température qu’il fait. De plus, même si on met son téléphone en « mode avion », il y a toujours des applications qui tournent. Il y a donc une source d’exposition qui est beaucoup plus importante qu’elle ne l’était autrefois.
Mais les fabricants affirment que les téléphones mobiles sont beaucoup plus performants et protecteurs pour la santé des utilisateurs !
Les téléphones ont été améliorés, mais ils auraient pu l’être encore plus pour émettre moins. Le drame, c’est que l’on voit aujourd’hui de jeunes enfants qui ont déjà leurs téléphones mobiles. Ils l’utilisent même parfois lorsqu’ils sont à bord d’un train, ce qui est un très mauvais endroit pour utiliser son téléphone mobile.
Pourquoi ?
Parce que dans un TGV, on est dans une enceinte métallique. Et juste au dessus des têtes des passagers, il y a des lignes à haute tension, donc on baigne dans des champs électromagnétiques. De plus, comme le train se déplace, le téléphone recherche en permanence la prochaine antenne pour pouvoir se raccorder au réseau. Au final, la durée d’exposition est vraiment beaucoup plus importante qu’autrefois, avec des usages qui démarrent très tôt dans la vie.
Quels sont les risques chez les enfants ?
La première étude qui s’est intéressée aux enfants et aux adolescents a été acceptée pour publication 15 jours après la réunion du CIRC en 2011. Cette étude qui s’appelle Céphalo est toujours présentée comme une étude négative. Or, sur 136 indicateurs qui donnent la valeur du risque relatif, 97 sont au dessus de 1. Il y a donc un effet. Le risque n’est pas statistiquement significatif, car cette étude était trop petite. Mais il n’en reste pas moins que ce n’est pas une étude rassurante.
« Les premières études viennent des pays nordiques. Ces études ont conclu que ceux qui utilisaient beaucoup leurs téléphones portables présentaient un risque accru de tumeurs du cerveau »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.