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22 août 2023

Suisse romand : L’éducation numérique dès la primaire divise parents et enseignants

L’éducation numérique dès la primaire divise parents et enseignants
par Ivan Radja, tdg,ch, 20 août 2023

Conformément au Plan d’études romand, les cantons multiplient les écrans en classe. Si l’usage et la prévention ne sont pas remis en question, la programmation est davantage contestée.

(Photo) : Dans la classe de 4e de l’école primaire du Cerneux-Péquignot (NE), les bases de la programmation sont dispensées selon un mode dual, feuilles et crayons d’abord, puis validation à l’ordinateur. Ci-dessus, l’enseignante Amélie Bertschy Forino avec, de g. à dr: Naia, Théa, Lilian et Eva. YVAIN GENEVAY

Depuis une quinzaine d’années, les écrans ont envahi les salles de classe suédoises, et cela dès la maternelle. Une tendance qui colle aux habitudes du pays, où, selon un sondage effectué en 2018, près de la moitié des enfants de 3 ans utilisent quotidiennement internet, et 20% des 5-8 ans ont leur propre smartphone tandis que 32% possèdent une tablette. L’omniprésence des ordinateurs et tablettes en milieu scolaire est toutefois remise en question.

En mai dernier, la ministre des Écoles, Lotta Edholm, déplorant «l’attitude dépourvue d’esprit critique qui considère la numérisation comme bonne, quel que soit son contenu», a modifié en profondeur la stratégie de l’Agence nationale de l’enseignement scolaire. Budget à l’appui: un crédit de 55 millions de francs (685 millions de couronnes) est destiné dès cette année au retour des manuels scolaires, afin de redonner à la lecture de livres et à l’écriture manuelle leur juste place. Des lacunes au niveau de l’écriture, de la lecture et de l’apprentissage en général ont en effet été constatées.

Certes, la Suède est allée très loin dans la numérisation de l’enseignement. Rien d’aussi excessif n’a été mis en place en Suisse, mais les résistances à l’introduction du numérique à l’école sont fortes. Dans le canton de Genève, le moratoire sur la question a porté ses fruits, se réjouit Anne-Marie Cruz, coprésidente du collectif RUNE-Genève (Réfléchissons à l’usage du numérique et des écrans): «Nous avons obtenu la suppression de l’introduction des tablettes pour les classes de la 1re à la 4e primaire, et le programme numérique a été approuvé pour de l’enseignement «au» numérique et non «par» le numérique. Nous ne sommes pas opposés au numérique en tant que tel, mais il est nécessaire d’être précis et nous déplorons l’absence de règlement clair sur l’usage que l’on en fait, surtout au niveau primaire.»

Plus-value relative

Domine le sentiment que les départements cantonaux de l’instruction publique, qui ont validé le Plan d’études romand (PER), appliquent la stratégie numérique sans tenir compte des récentes études PISA ou de l’Unesco qui émettent des réserves sur la supposée plus-value des écrans en termes d’apprentissage. «On ne va pas perdre de temps à réfléchir», déclarait mardi dernier dans l’émission «Forum» de la RTS la conseillère d’État fribourgeoise Sylvie Bonvin-Sansonnens.

Et c’est bien ce que regrette Lionel Roche, le secrétaire syndical du SSP-Fribourg: «Ces études ont démontré que le numérique n’apporte rien dans l’acquisition des compétences fondamentales, notamment les mathématiques et les langues, qu’on parle de lecture ou d’écriture.» A Fribourg, la stratégie d’éducation numérique (EdNum) du Conseil d’État prévoit de dépenser 75 millions dont une grande partie pour équiper chaque élève d’un ordinateur au secondaire 1. «Dans le même temps, on nous oppose depuis des années l’argument des caisses vides lorsqu’il s’agit de renforcer les moyens de l’école inclusive, d’engager des professeurs ou de réduire les effectifs par classes.»

Fribourg détient en effet le record du nombre d’élèves par classe, 27 en moyenne, contre 22 dans le canton de Genève. «Or il n’est pas possible de décorréler le développement du numérique à l’école de l’amélioration des conditions d’enseignement!» conclut le syndicaliste.

Selon le gouvernement fribourgeois, distribuer ordinateurs et tablettes devrait permettre de gommer les différences entre communes, et entre écoles, quant aux moyens mis à disposition. Au secondaire 2 le BYOD, pour Bring Your Own Device, n’a pourtant pas réduit les risques de disparité et la pression mise sur les budget des familles, par définition fort dissemblables.

Dans le canton de Vaud, les inquiétudes sont vives de voir le numérique s’imposer au détriment d’autres secteurs, comme le soutien aux élèves en difficulté, qui fait l’objet d’un débat sur le manque de moyens. Pour Julien Eggenberger, membre du SSP-Vaud et député socialiste au Grand Conseil, «planifier la distribution de 30’000 tablettes, soit en moyenne cinq par classe, a un rapport coût/bénéfice discutable, alors que l’on pourrait commencer par augmenter le nombre de salles d’informatique par exemple, et améliorer ce qui existe déjà.» Et d’ajouter: «Personne ne dit qu’il ne faut rien faire, et laisser l’éducation informatique à Google, TikTok ou Instagram, mais ce qui est dénoncé est l’ampleur du volet science informatique du Plan d’études romand et la débauche de matériel distribué.»

Ce fameux plan se déploie sur trois axes. Les deux premiers, qui traitent du bon usage des outils informatiques (manipulation, maîtrise, éducation aux médias, etc.) et de la prévention (risques de décrochage social, d’addiction, etc.) ne sont pas remis en question. Le troisième, cette science informatique, divise davantage. L’Association vaudoise des parents d’élèves (APE Vaud) a du reste organisé début juin une conférence en collaboration avec l’EPFL sur cette question, souligne la secrétaire générale, Christine Muller: «Nos membres sont très partagés, entre ceux qui sont favorables au déploiement du numérique, et ceux qui sont inquiets que leurs enfants soient trop exposés aux écrans. Nous constatons qu’il y a beaucoup de fausses idées, et une mauvaise compréhension de ce que signifie l’introduction du numérique.»

L’objectif final de l’initiation au codage et à la programmation durant l’école obligatoire, et spécialement au primaire, n’est pas très clair, déplore enfin Anne-Marie Cruz (RUNE): «On entend dire que la Suisse est en retard, qu’elle ne sera pas compétitive. Mais en retard de quoi? Des compétences comme la capacité à être concentré, à mentaliser et avoir des réflexions profondes seront bien plus utiles pour toute une série de métiers dont celui d’ingénieur. Par ailleurs l’école devrait avoir une certaine indépendance vis-à-vis de ces considérations purement économiques.»

Citoyens compétitifs

Il faut savoir ce qu’on veut faire avec l’école, estime pour sa part Julien Eggenberger, pour qui sa mission est d’assurer qu’un élève, au sortir du parcours obligatoire, «soit capable de comprendre et d’écrire un texte, de conceptualiser des modèles mathématiques, et qu’il bénéficie d’une bonne culture générale et des outils nécessaires à la vie en société. C’est d’ailleurs aussi ce que demandent les employeurs lorsque les jeunes entrent en apprentissage, par exemple.»

En cas d’études supérieures scientifiques, il sera toujours temps d’apprendre la programmation à ce moment-là, pour ceux qui s’y destinent, conclut Anne-Marie Cruz: «Je pense que si l’on veut former des citoyens autonomes, l’essentiel est ailleurs. Il est important de favoriser l’imagination et l’esprit critique en les aidant à développer ces aptitudes dès l’école primaire, grâce grâce aux mathématiques, à la maîtrise du français, à la culture et aux activités créatrices. Dans un monde hyper « connecté », où et quand les jeunes peuvent-ils développer leur intériorité?»


https://www.tdg.ch/rentree-scolaire-leducation-numerique-des-la-primaire-divise-parents-et-enseignants-461832467123

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